Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 51
Mais il fut arrêté net par une évolution de mousquet et par le cri de la sentinelle.
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– Où allez-vous, l'ami ? lui demanda le factionnaire.
– Je vais chez le roi, répondit tranquillement et fièrement l'inconnu.
Le soldat appela un des officiers de Son Éminence, qui, du ton avec lequel un garçon de bureau dirige dans ses recherches un solliciteur du ministère, laissa tomber ces mots :
– L'autre escalier en face.
Et l'officier, sans plus s'inquiéter de l'inconnu, reprit la conversation interrompue.
L'étranger, sans rien répondre, se dirigea vers l'escalier indiqué.
De ce côté, plus de bruit, plus de flambeaux. L'obscurité, au milieu de laquelle on voyait errer une sentinelle pareille à une ombre.
Le silence, qui permettait d'entendre le bruit de ses pas accompagnés du retentissement des éperons sur les dalles.
Ce factionnaire était un des vingt mousquetaires affectés au service du roi, et qui montait la garde avec la raideur et la conscience d'une statue.
– Qui vive ? dit ce garde.
– Ami, répondit l'inconnu.
– Que voulez-vous ?
– Parler au roi.
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– Oh ! oh ! mon cher monsieur, cela ne se peut guère.
– Et pourquoi ?
– Parce que le roi est couché.
– Couché déjà ?
– Oui.
– N'importe, il faut que je lui parle.
– Et moi je vous dis que c'est impossible.
– Cependant…
– Au large !
– C'est donc la consigne ?
– Je n'ai pas de compte à vous rendre. Au large !
Et cette fois le factionnaire accompagna la parole d'un geste menaçant ; mais l'inconnu ne bougea pas plus que si ses pieds eussent pris racine.
– Monsieur le mousquetaire, dit-il, vous êtes gentilhomme ?
– J'ai cet honneur.
– Eh bien ! moi aussi je le suis, et entre gentilshommes on se doit quelques égards.
Le factionnaire abaissa son arme, vaincu par la dignité avec laquelle avaient été prononcées ces paroles.
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– Parlez, monsieur, dit-il, et si vous me demandez une chose qui soit en mon pouvoir…
– Merci. Vous avez un officier, n'est-ce pas ?
– Notre lieutenant, oui, monsieur.
– Eh bien ! je désire parler à votre lieutenant.
– Ah ! pour cela, c'est différent. Montez, monsieur.
L'inconnu salua le factionnaire d'une haute façon, et monta l'escalier, tandis que le cri : « Lieutenant, une visite ! » transmis de sentinelle en sentinelle, précédait l'inconnu et allait troubler le premier somme de l’officier.
Traînant sa botte, se frottant les yeux et agrafant son manteau, le lieutenant fit trois pas au-devant de l'étranger.
– Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur ? demanda-t-il.