Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 39
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– D'abord, le général n'a pas voulu me recevoir.
– Il te prenait pour quelque espion.
– Oui, milord, mais je lui ai écrit une lettre.
– Eh bien ?
– Il l'a reçue, il l'a lue milord.
– Cette lettre expliquait bien ma position, mes vœux ?
– Oh ! oui, dit Parry avec un triste sourire… elle peignait fidèlement votre pensée.
– Alors, Parry ?…
– Alors le général m'a renvoyé la lettre par un aide de camp, en me faisant annoncer que le lendemain, si je me trouvais encore dans la circonscription de son commandement, il me ferait arrêter.
– Arrêter ! murmura le jeune homme ; arrêter ! toi, mon plus fidèle serviteur !
– Oui, milord.
– Et tu avais signé Parry, cependant !
– En toutes lettres, milord ; et l'aide de camp m'a connu à Saint-James, et, ajouta le vieillard avec un soupir, à White Hall !
Le jeune homme s'inclina, rêveur et sombre.
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– Voilà ce qu'il a fait devant ses gens, dit-il en essayant de se donner le change… mais sous main… de lui à toi… qu'a-t-il fait ?
Réponds.
– Hélas ! milord, il m'a envoyé quatre cavaliers qui m'ont donné le cheval sur lequel vous m'avez vu revenir. Ces cavaliers m'ont conduit toujours courant jusqu'au petit port de Tenby, m'ont jeté plutôt qu'embarqué sur un bateau de pêche qui faisait voile vers la Bretagne et me voici.
– Oh ! soupira le jeune homme en serrant convulsivement de sa main nerveuse sa gorge, où montait un sanglot… Parry, c'est tout, c'est bien tout ?
– Oui, milord, c'est tout !
Il y eut après cette brève réponse de Parry un long intervalle de silence ; on n'entendait que le bruit du talon de ce jeune homme tourmentant le parquet avec furie.
Le vieillard voulut tenter de changer la conversation.
– Milord, dit-il, quel est donc tout ce bruit qui me précédait ?
Quels sont ces gens qui crient : « Vive le roi ! »… De quel roi est-il question, et pourquoi toutes ces lumières ?
– Ah ! Parry, tu ne sais pas, dit ironiquement le jeune homme, c'est le roi de France qui visite sa bonne ville de Blois ; toutes ces trompettes sont à lui, toutes ces housses dorées sont à lui, tous ces gentilshommes ont des épées qui sont à lui. Sa mère le précède dans un carrosse magnifiquement incrusté d'argent et d'or ! Heureuse mère ! Son ministre lui amasse des millions et le conduit à une riche fiancée. Alors tout ce peuple est joyeux, il aime son roi, il le caresse de ses acclamations, et il crie : « Vive le roi ! vive le roi ! »
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