Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 38



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– Qu'il est bien, le roi, et qu'il ressemble à feu son illustre père !


– En beau, disait Pittrino.


– Et qu'il a une fière mine ! ajoutait Mme Cropole, déjà en promiscuité de commentaires avec les voisins et les voisines.


Cropole alimentait ces propos de ses observations personnelles, sans remarquer qu'un vieillard à pied, mais traînant un petit cheval irlandais par la bride, essayait de fendre le groupe de femmes et d'hommes qui stationnait devant les Médicis.


Mais en ce moment la voix de l'étranger se fit entendre à la fenêtre.


– Faites donc en sorte, monsieur l'hôtelier, qu'on puisse arriver jusqu'à votre maison.


Cropole se retourna, vit alors seulement le vieillard, et lui fit faire passage.


La fenêtre se ferma.


Pittrino indiqua le chemin au nouveau venu, qui entra sans proférer une parole.


L'étranger l'attendait sur le palier, il ouvrit ses bras au vieillard et le conduisit à un siège, mais celui-ci résista.


– Oh ! non pas, non pas, milord, dit-il. M'asseoir devant vous !

jamais !


– Parry, s'écria le gentilhomme, je vous en supplie… vous qui venez d'Angleterre… de si loin ! Ah ! ce n'est pas à votre âge qu'on

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devrait subir des fatigues pareilles à celles de mon service. Reposez-vous …


– J'ai ma réponse à vous donner avant tout, milord.


– Parry… je t'en conjure, ne me dis rien… car si la nouvelle eût été bonne, tu ne commencerais pas ainsi ta phrase. Tu prends un détour c'est que la nouvelle est mauvaise.


– Milord, dit le vieillard, ne vous hâtez pas de vous alarmer.

Tout n'est pas perdu, je l'espère. C'est de la volonté, de la persévérance qu'il faut, c'est surtout de la résignation.


– Parry, répondit le jeune homme, je suis venu ici seul, à travers mille pièges et mille périls : crois-tu à ma volonté ? J'ai médité ce voyage dix ans, malgré tous les conseils et tous les obstacles : crois-tu à ma persévérance ? J'ai vendu ce soir le dernier diamant de mon père, car je n'avais plus de quoi payer mon gîte, et l'hôte m'allait chasser.


Parry fit un geste d'indignation auquel le jeune homme répondit par une pression de main et un sourire.


– J'ai encore deux cent soixante-quatorze pistoles, et je me trouve riche

; je ne désespère pas, Parry

: crois-tu à ma

résignation ?


Le vieillard leva au ciel ses mains tremblantes.


– Voyons, dit l'étranger, ne me déguise rien : qu'est-il arrivé ?


– Mon récit sera court, milord ; mais au nom du Ciel ne tremblez pas ainsi !


– C'est d'impatience, Parry. Voyons, que t'a dit le général ?