Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 12




– S'il en est ainsi, forçons la consigne, monsieur le vicomte.

Venez. D'ailleurs, Monsieur est d'une humeur charmante aujourd'hui. Et puis, vous nous apportez des nouvelles, n'est-ce pas ?


– De grandes, monsieur de Saint-Remy.


– Et de bonnes, je présume ?


– D'excellentes.


– Venez vite, bien vite, alors ! s'écria le bonhomme, qui se rajusta tout en cheminant.


Raoul le suivit son chapeau à la main, et un peu effrayé du bruit solennel que faisaient ses éperons sur les parquets de ces immenses salles.


Aussitôt qu'il eut disparu dans l'intérieur du palais, la fenêtre de la cour se repeupla, et un chuchotement animé trahit l'émotion des deux jeunes filles ; bientôt elles eurent pris une résolution, car l'une des deux figures disparut de la fenêtre : c'était la tête brune ; l'autre demeura derrière le balcon, cachée sous les fleurs, regardant attentivement, par les échancrures des branches, le perron sur lequel M. de Bragelonne avait fait son entrée au palais.


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Cependant l'objet de tant de curiosité continuait sa route en suivant les traces du maître d'hôtel. Un bruit de pas empressés, un fumet de vin et de viandes, un cliquetis de cristaux et de vaisselle l'avertirent qu'il touchait au terme de sa course.


Les pages, les valets et les officiers, réunis dans l'office qui précédait le réfectoire, accueillirent le nouveau venu avec une politesse proverbiale en ce pays ; quelques-uns connaissaient Raoul, presque tous savaient qu'il venait de Paris, On pourrait dire que son arrivée suspendit un moment le service. Le fait est qu'un page qui versait à boire à Son Altesse, entendant les éperons dans la chambre voisine, se retourna comme un enfant, sans s'apercevoir qu'il continuait de verser, non plus dans le verre du prince, mais sur la nappe.


Madame, qui n'était pas préoccupée comme son glorieux époux, remarqua cette distraction du page.


– Eh bien ! dit-elle.


M. de Saint-Remy, qui introduisait sa tête par la porte, profita du moment.


– Pourquoi me dérangerait-on ? dit Gaston en attirant à lui une tranche épaisse d'un des plus gros saumons qui aient jamais remonté la Loire pour se faire prendre entre Paimbœuf et Saint-Nazaire.


– C'est qu'il arrive un messager de Paris. Oh ! mais, après le déjeuner de Monseigneur, nous avons le temps.


– De Paris ! s'écria le prince en laissant tomber sa fourchette ; un messager de Paris, dites-vous ? Et de quelle part vient ce messager ?