Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 103




– Là, Bazin, là ! en sorte qu'Aramis est à Vannes ?


– À Vannes, en Bretagne.


– Tu es un sournois, Bazin, ce n'est pas vrai.


– Monsieur, voyez, les appartements du presbytère sont vides.


« Il a raison », se dit d'Artagnan en considérant la maison dont l'aspect annonçait la solitude.


– Mais Monseigneur a dû vous écrire sa promotion.


– De quand date-t-elle ?


– D'un mois.


– Oh ! alors, il n'y a pas de temps perdu. Aramis ne peut avoir eu encore besoin de moi. Mais voyons, Bazin, pourquoi ne suis-tu pas ton pasteur ?


– Monsieur, je ne puis, j'ai des occupations.

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– Ton alphabet ?


– Et mes pénitents.


– Quoi ! tu confesses ? tu es donc prêtre ?


– C'est tout comme. J'ai tant de vocation !


– Mais les ordres ?


– Oh ! dit Bazin avec aplomb, maintenant que Monseigneur est évêque, j'aurai promptement mes ordres ou tout au moins mes dispenses.


Et il se frotta les mains.


« Décidément, se dit d'Artagnan, il n'y a pas à déraciner ces gens-là. »


– Fais-moi servir, Bazin.


– Avec empressement, monsieur.


– Un poulet, un bouillon et une bouteille de vin.


– C'est aujourd'hui samedi, jour maigre, dit Bazin.


– J'ai une dispense, dit d'Artagnan.


Bazin le regarda d'un air soupçonneux.


– Ah çà ! maître cafard, pour qui me prends-tu ? dit le mousquetaire ; si toi, qui es le valet, tu espères des dispenses pour commettre des crimes, je n'aurai pas, moi, l'ami de ton évêque, une

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dispense pour faire gras selon le vœu de mon estomac ? Bazin, sois aimable avec moi, ou, de par Dieu ! je me plains au roi, et tu ne confesseras jamais. Or, tu sais que la nomination des évêques est au roi, je suis le plus fort.


Bazin sourit hypocritement.


– Oh ! nous avons M. le surintendant, nous autres, dit-il.


– Et tu te moques du roi, alors ?


Bazin ne répliqua rien, son sourire était assez éloquent.


– Mon souper, dit d'Artagnan, voilà qu'il s'en va vers sept heures.


Bazin se retourna et commanda au plus âgé de ses écoliers d'avertir la cuisinière. Cependant d'Artagnan regardait le presbytère.


– Peuh ! dit-il dédaigneusement, Monseigneur logeait assez mal Sa Grandeur ici.


– Nous avons le château de Vaux, dit Bazin.


– Qui vaut peut-être le Louvre ? répliqua d'Artagnan en goguenardant.


– Qui vaut mieux, répliqua Bazin du plus grand sang-froid du monde.


– Ah ! fit d'Artagnan.


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Peut-être allait-il prolonger la discussion et soutenir la suprématie du Louvre ; mais le lieutenant s'était aperçu que son cheval était demeuré attaché aux barreaux d'une porte.