Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 102
– Vous ! dit-il, vous, monsieur d'Artagnan !
– Oui, moi. Où est Aramis… non pas, M.
le chevalier
d'Herblay… non, je me trompe encore, M. Le vicaire général ?
– Ah ! monsieur, dit Bazin avec dignité, Monseigneur est en son diocèse.
– Plaît-il ? fit d'Artagnan.
Bazin répéta sa phrase.
– Ah çà ! mais, Aramis a un diocèse ?
– Oui, monsieur. Pourquoi pas ?
– Il est donc évêque ?
– Mais d'où sortez-vous donc, dit Bazin assez
irrévérencieusement, que vous ignoriez cela ?
– Mon cher Bazin, nous autres païens, nous autres gens d'épée, nous savons bien qu'un homme est colonel, ou mestre de camp, ou maréchal de France ; mais qu'il soit évêque, archevêque ou pape…
diable m'emporte ! si la nouvelle nous en arrive avant que les trois quarts de la terre en aient fait leur profit.
– Chut ! chut ! dit Bazin avec de gros yeux, n'allez pas me gâter ces enfants, à qui je tâche d'inculquer de si bons principes.
Les enfants avaient en effet tourné autour de d'Artagnan, dont ils admiraient le cheval, la grande épée, les éperons et l'air martial.
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Ils admiraient surtout sa grosse voix ; en sorte que, lorsqu'il accentua son juron, toute l'école s'écria : « Diable m'emporte ! »
avec un bruit effroyable de rires, de joies et de trépignements qui combla d'aise le mousquetaire et fit perdre la tête au vieux pédagogue.
– Là ! dit-il, taisez-vous donc, marmailles !… Là… vous voilà arrivé, monsieur d'Artagnan, et tous mes bons principes s'envolent… Enfin, avec vous, comme d'habitude, le désordre ici…
Babel est retrouvée !… Ah ! bon Dieu ! ah ! les enragés !
Et le digne Bazin appliquait à droite et à gauche des horions qui redoublaient les cris de ses écoliers en les faisant changer de nature.
– Au moins, dit-il, vous ne débaucherez plus personne ici.
– Tu crois ? dit d'Artagnan avec un sourire qui fit passer un frisson sur les épaules de Bazin.
– Il en est capable, murmura-t-il.
– Où est le diocèse de ton maître ?
– Mgr René est évêque de Vannes.
– Qui donc l'a fait nommer ?
– Mais M. le surintendant, notre voisin.
– Quoi ! M. Fouquet ?
– Sans doute.
– Aramis est donc bien avec lui ?
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– Monseigneur prêchait tous les dimanches chez M.
le
surintendant, à Vaux ; puis ils chassaient ensemble.
– Ah !
– Et Monseigneur travaillait souvent ses homélies… non, je veux dire ses sermons, avec M. le surintendant.
– Bah ! il prêche donc en vers, ce digne évêque ?
– Monsieur, ne plaisantez pas des choses religieuses, pour l'amour de Dieu !