Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 100




– Eh bien ! alors, s'écria d'Artagnan, puisqu'il marche sur Paris, c'est tout ce que je voulais savoir, il fallait commencer par là, nigaud… Il a donc deux heures d'avance ?


– Oui, monsieur.


– Je l'aurai bientôt rattrapé. Est-il seul ?


– Non, monsieur.


– Qui donc est avec lui ?


– Un gentilhomme que je ne connais pas, un vieillard, et M. Grimaud.


– Tout cela ne courra pas si vite que moi… Je pars…


– Monsieur veut-il m'écouter un instant, dit Blaisois, en appuyant doucement sur les rênes du cheval.


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– Oui, si tu ne me fais pas de phrases ou que tu les fasses vite ;


– Eh bien ! monsieur, ce mot de Paris me paraît être un leurre.


– Oh ! oh ! dit d'Artagnan sérieux, un leurre ?


– Oui, monsieur, et M. le comte ne va pas à Paris, j'en jurerais.


– Qui te fait croire ?


– Ceci : M. Grimaud sait toujours où va notre maître, et il m'avait promis, la première fois qu'on irait à Paris, de prendre un peu d'argent que je fais passer à ma femme.


– Ah ! tu as une femme ?


– J'en avais une, elle était de ce pays, mais Monsieur la trouvait bavarde, je l'ai envoyée à Paris : c'est incommode parfois, mais bien agréable en d'autres moments.


– Je comprends, mais achève : tu ne crois pas que le comte aille à Paris ?


– Non, monsieur, car alors Grimaud eût manqué à sa parole, il se fût parjuré, ce qui est impossible.


– Ce qui est impossible, répéta d'Artagnan tout à fait rêveur, parce qu'il était tout à fait convaincu. Allons, mon brave Blaisois, merci.


Blaisois s'inclina.


– Voyons, tu sais que je ne suis pas curieux… J'ai absolument affaire à ton maître… ne peux-tu… par un petit bout de mot… toi qui

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parles si bien, me faire comprendre… Une syllabe, seulement… je devinerai le reste.


– Sur ma parole, monsieur, je ne le pourrais… J'ignore absolument le but du voyage de Monsieur… Quant à écouter aux portes, cela m'est antipathique, et d'ailleurs, c'est défendu ici.


– Mon cher, dit d'Artagnan, voilà un mauvais commencement pour moi. N'importe, tu sais l'époque du retour du comte au moins ?


– Aussi peu, monsieur, que sa destination.


– Allons, Blaisois, allons, cherche.


– Monsieur doute de ma sincérité ! Ah ! Monsieur me chagrine bien sensiblement !


– Que le diable emporte sa langue dorée

! grommela

d'Artagnan. Qu'un rustaud vaut mieux avec une parole !… Adieu !


– Monsieur, j'ai l'honneur de vous présenter mes respects.


« Cuistre ! se dit d'Artagnan. Le drôle est insupportable. »


Il donna un dernier coup d'œil à la maison, fit tourner son cheval, et partit comme un homme qui n'a rien dans l'esprit de fâcheux ou d'embarrassé.