Том 4. Письма, 1820-1849 | страница 32



Ф. Тютчев

Гагарину И. С., 7/19 июля 1836>*

30. И. С. ГАГАРИНУ 7/19 июля 1836 г. Мюнхен

Munich. Ce 7/19 juillet 1836

Mon bien cher Gagarine. Vous mériteriez un prix de vertu pour votre indulgente et persévérante amitié à mon égard et pour les témoignages que vous m’en donnez. J’ai reçu de vous, de compte fait, dans les derniers temps deux bonnes et belles lettres qui m’ont fait tout le plaisir que je puis recevoir par l’intermédiaire de l’écriture, et deux livres russes que j’ai parcourus avec tout l’intérêt que je puis prendre encore à de l’imprimé>*. Et pour tous ces bienfaits je ne vous ai pas exprimé ma reconnaissance, même par un simple signe de vie. C’est une indignité, j’en conviens. Mais ne vous laissez pas rebuter. Que votre amitié parle plus haut que mon silence, car ce silence, vous le savez bien, est si peu moi que c’est plutôt la négation de moi. Votre dernière lettre m’a fait particulièrement plaisir, non pas un plaisir de vanité ou d’amour-propre (ces jouissances-là ont fait leur temps), mais le plaisir qu’on éprouve à s’assurer de ses idées par l’assentiment du prochain>*. A bien prendre les choses, du moment que l’homme sort de la sphère des sens, il n’y a peut-être pas de réalité possible pour lui qu’au prix de cet assentiment-là, de cette sympathie intellectuelle. Là est la racine de toute religion, comme de toute société, comme de toute langue. Et cependant, mon cher ami, je doute fort que les paperasses, que je vous ai envoyées, méritassent les honneurs de l’impression, et surtout d’une impression séparée. Il se publie maintenant en Russie, tous les six mois, des choses qui vaillent infiniment mieux. Dernièrement encore j’ai lu avec une véritable jouissance les 3 nouvelles de Павлов, la dernière surtout>*. A part le talent d’artiste, qui est là arrivé à un degré de maturité peu commun, ce qui m’a surtout frappé, c’est la pensée adulte, la puberté de la pensée russe. Aussi s’est-elle de prime abord attaquée aux entrailles mêmes de la société… La pensée libre aux prises avec la fatalité sociale, et cependant l’impartialité de l’art n’en a pas souffert. Le tableau est vrai sans être trivial ou caricature. Le sentiment poétique ne s’est pas laissé entamer par la déclamation… J’aime à faire honneur à la nature même de l’esprit russe de cet éloignement pour la rhétorique, cette peste ou plutôt ce péché originel de l’intelligence française. C’est là ce qui met