Том 3. Публицистические произведения | страница 47



Et voilà pourquoi dans ce pays, où nous voyons depuis soixante ans se réaliser cette combinaison d’un Etat révolutionnaire par principe traînant à la remorque une société qui n’est que révolutionnée, le gouvernement, le pouvoir qui tient nécessairement des deux sans parvenir à les concilier, s’y trouve fatalement condamné à une position fausse, précaire, entourée de périls et frappée d’impuissance. Aussi avons-nous vu que depuis cette époque tous les gouvernements en France — moins un, celui de la Convention pendant la Terreur, — quelque fût la diversité de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci en commun: c’est que tous, sans excepter même celui du lendemain de Février, ils ont subi la Révolution bien plus qu’ils ne l’ont représentée. Et il n’en pouvait être autrement. Car ce n’est qu’à la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Mais il est vrai de dire que, jusqu’à présent du moins, ils ont tous péri à la tâche.

Comment donc un pouvoir ainsi fait, aussi peu sûr de son droit, d’une nature aussi indécise, aurait-il eu quelque chance de succès en intervenant dans une question comme l’est cette question romaine? En se présentant comme médiateur ou comme arbitre entre la Révolution et le Pape, il ne pouvait guère espérer de concilier ce qui est inconciliable par nature. Et d’autre part il ne pouvait donner gain de cause à l’une des parties adverses sans se blesser lui-même, sans renier pour ainsi dire une moitié de lui-même. Ce qu’il pouvait donc obtenir par cette intervention à double tranchant, quelque émoussé qu’il fût, c’était d’embrouiller encore davantage ce qui déjà était inextricable, d’envenimer la plaie en l’irritant. C’est à quoi il a parfaitement réussi.

Maintenant quelle est au vrai la situation du Pape à l’égard de ses sujets? Et quel est le sort probable réservé aux nouvelles institutions qu’il vient de leur accorder? — Ici malheureusement les plus tristes prévisions sont seules de droit. C’est le doute qui ne l’est pas.

La situation, — c’est l’ancien état des choses, celui antérieur au règne actuel, celui qui dès lors croulait déjà sous le poids de son impossibilité, mais démesurément aggravé par tout ce qui est arrivé depuis. Au moral, par d’immenses déceptions et d’immenses trahisons; au matériel, par toutes les ruines accumulées.

On connaît ce cercle vicieux où depuis quarante ans nous avons vu rouler et se débattre tant de peuples et tant de gouvernements. Des gouvernés n’acceptant les concessions que leur faisait le pouvoir, que comme un faible acompte payé à contrecœur par un débiteur de mauvaise foi. Des gouvernements qui ne voyaient dans les demandes qu’on leur adressait que les embûches d’un ennemi hypocrite. Eh bien, cette situation, cette réciprocité de mauvais sentiments, détestable et démoralisante partout et toujours, est encore grandement envenimée ici par le caractère particulièrement sacré du pouvoir et par la nature tout exceptionnelle de ses rapports avec ses sujets. Car, encore une fois, dans la situation donnée et sur la pente où l’on se trouve placé, non seulement par la passion des hommes, mais par la force même des choses, — toute concession, toute réforme, pour peu qu’elle soit sincère et sérieuse, pousse infailliblement l’Etat romain vers une sécularisation complète. La sécularisation, nul n’en doute, est le dernier mot de la situation. Et cependant le Pape, sans droit pour l’accorder même dans les temps ordinaires, puisque la souveraineté temporelle n’est pas son bien, mais celui de l’Eglise de Rome, — pourrait bien moins encore y consentir maintenant qu’il a la certitude que cette sécularisation, lors même qu’elle serait accordée à des nécessités réelles, tournerait en définitive au profit des ennemis jurés, non pas de son pouvoir seulement, mais de l’Eglise elle-même. Y consentir, ce serait se rendre coupable d’apostasie et de trahison tout à la fois. Voici pour le Pouvoir. Pour ce qui est des sujets, il est clair que cette antipathie invétérée contre la domination des prêtres, qui constitue tout l’esprit public de la population romaine, n’aura pas diminué par suite des derniers événements.