Том 3. Публицистические произведения | страница 3
Lettre à M. le docteur Gustave Kolb, rédacteur de la «Gazette Universelle»>*
Monsieur le Rédacteur,
L’accueil que vous avez fait dernièrement à quelques observations que j’ai pris la liberté de vous adresser, ainsi que le commentaire modéré et raisonnable dont vous les avez accompagnées, m’ont suggéré une singulière idée. Que serait-ce, monsieur, si nous essayions de nous entendre sur le fond même de la question? Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement. En vous écrivant c’est donc à la «Gazette Universelle d’Augsbourg» que je m’adresse. Or, dans l’état actuel de l’Allemagne, la «Gazette d’Augsbourg» est quelque chose de plus, à mes yeux, qu’un journal. C’est la première de ses tribunes politiques… Si l’Allemagne avait le bonheur d’être une, son gouvernement pourrait à plusieurs égards adopter ce journal pour l’organe légitime de sa pensée. Voilà pourquoi je m’adresse à vous. Je suis Russe, ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, Russe de cœur et d’âme, profondément dévoué à mon pays, en paix avec mon gouvernement et, de plus, tout à fait indépendant par ma position. C’est donc une opinion russe, mais libre et parfaitement désintéressée, que j’essayerai d’exprimer ici… Cette lettre, comprenez-moi bien, s’adresse plus encore à vous, monsieur, qu’au public. Toutefois vous pouvez en faire tel usage qu’il vous plaira. La publicité m’est indifférente. Je n’ai pas plus de raisons de l’éviter que de la rechercher… Et ne craignez pas, monsieur, qu’en ma qualité de Russe, je m’engage à mon tour dans la pitoyable polémique qu’a soulevée dernièrement un pitoyable pamphlet. Non, monsieur, cela n’est pas assez sérieux.
…Le livre de M. de Custine est un témoignage de plus de ce dévergondage de l’esprit, de cette démoralisation intellectuelle, trait caractéristique de notre époque, en France surtout, qui fait qu’on se laisse aller à traiter les questions les plus graves et les plus hautes, bien moins avec la raison qu’avec les nerfs, qu’on se permet de juger un Monde avec moins de sérieux qu’on n’en mettait autrefois à faire l’analyse d’un vaudeville. Quant aux adversaires de M. de Custine, aux soi-disant défenseurs de la Russie, ils sont certainement plus sincères, mais ils sont bien niais… Ils me font l’effet de gens qui, par un excès de zèle, ouvriraient précipitamment leur parasol pour protéger contre l’ardeur du jour la cime du Mont-Blanc… Non, monsieur, ce n’est pas de l’apologie de la Russie qu’il sera question dans cette lettre. L’apologie de la Russie!.. Eh, mon Dieu, c’est un plus grand maître que nous tous qui s’est chargé de cette tâche et qui, ce me semble, s’en est jusqu’à présent assez glorieusement acquitté. Le véritable apologiste de la Russie c’est l’Histoire, qui depuis trois siècles ne se lasse pas de lui faire gagner tous les procès dans lesquels elle a successivement engagé ses mystérieuses destinées… En m’adressant à vous, monsieur, c’est de vous-même, de votre propre pays, que je prétends vous entretenir, de ses intérêts les plus essentiels, les plus évidents, et s’il est question de la Russie, ce ne sera que dans ses rapports immédiats avec les destinées de l’Allemagne.