Dictionnaire amoureux de la France | страница 6



sous l’échafaud, le fantôme de Milady sous les traits abominables de son fils Mordaunt. Puis Bragelonne, le fils d’Athos et de la Chevreuse, les amourettes de Louis XIV et de La Vallière, l’arrestation de Fouquet, la fin de la récré à Maastricht. J’ai relu maintes fois Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après, une seule fois Le Vicomte de Bragelonne car il m’est insupportable de les voir mourir. Surtout lui.

D’Artagnan, c’est un prototype de « furia francese » plein d’idéal et gentiment trivial. Je ne passe jamais à Meung sans émotion. Ni sur la place Royale (voir :Place des Vosges), ni dans la rue Tiquetonne. La première fois que je suis allé à La Rochelle, c’était pour tâcher de repérer le fort Saint-Gervais, théâtre d’un déjeuner sous la mitraille par suite d’un pari. En l’occurrence j’y avais capturé les faveurs d’une jeune fille en fleur, toute blonde, et, bien que l’affaire remonte aux calendes, je repense à elle, ma mémoire l’associe aux péripéties du siège, je la confonds un peu avec Constance, un peu avec la Chevreuse. Elle était blonde comme Milady, douce comme Kitty.

Jamais Auch ne sera pour moi une ville ordinaire : d’Artagnan est son titre de gloire, sa statue de bronze trône au bas de l’escalier monumental, sous la cathédrale, la tour d’Armagnac et l’ancien palais épiscopal. Il se trouve que la cathédrale a été achevée au XVII>e siècle ; en admirant les retables et les stalles de bois sculpté du chapitre, je crois me voir, ou me revoir, à ce moment baroque où la France du Cid était si jeune, si enfiévrée, si créatrice. En cherchant Lupiac sur des routes accessoires, en lisière des coteaux du Bas-Armagnac, avec les montagnes Pyrénées sur la ligne d’horizon, je crois le revoir avec son nez aquilin, son galurin rustique et l’épée de son père battant les flancs étiques de sa rossinante. Lupiac est le village natal de Charles de Batz, seigneur d’Artagnan. Le manoir de Rochemaure est encore là, serti dans la verdure. Bien entendu il s’agit du d’Artagnan historique, capitaine des Mousquetaires du roi, dont les savoureux mémoires ont inspiré le génie de Dumas. Peu m’importe qu’il ait fabulé. Peu m’importe les « vérités » historiques. Le vrai d’Artagnan est celui de l’écrivain, l’autre lui doit une gloire posthume, attestée dans sa bourgade par un petit musée, attestée surtout, depuis la parution du roman, par son emprise sur les adolescents qui s’impatientent sous les préaux ou dans les bistrots. Du moins ceux qui ont le sang chaud, du cœur au ventre et du vent dans les voiles.