Dictionnaire amoureux de la France | страница 2



Ces racines m’ont offert gratis le matériau de ma poétique : autour de deux clochers, mon âme terrienne et plébéienne a exercé une manière de souveraineté sur quelques arpents, en sachant toujours où s’achèverait la comédie : les miens sont empilés tout près, dans les cimetières de famille. Ça donne du recul, et finalement de l’insouciance. Puisque aussi bien je les y rejoindrai, c’est un peu comme si j’y étais déjà.

Avoir son camp retranché affectif sur les pentes du vaste massif primaire est une grâce inestimable ; je n’en ai jamais fait un fromage barrésien. « La terre et les morts » : très peu pour moi. Plus exactement : trop peu pour mon patriotisme. Il n’a rien de régionalisant et il est trop assuré sur ses bases pour se dévoyer en crispation identitaire. À quoi bon en rajouter sur cette « identité », elle coule de source — ou de sève ; c’est un terreau, pas un camp retranché. On peut être français et venir d’ailleurs. On est toujours un peu d’ailleurs et le sang d’un Français ne sait plus trop à quel ancêtre il doit d’être clair ou foncé.

L’article premier de mon credo patriotique est simple comme bonjour : la France est de loin ce que l’histoire-géo a tramé de mieux sur les cinq continents. De plus beau, de plus noble et de plus savoureux. Cet axiome posé, inutile de forcer la dose. Loin de m’assigner à résidence, mes racines m’ont incité à la quête de l’universel, sous la forme d’une attirance invincible pour les lointains et les marges, les Suds profonds, les peuples nomades, les cirques ambulants, tous les vagabondages, tous les métissages. C’est en Français invétéré que j’ai ce désir fou d’altérité. Rien de plus sot que cette manie, propre à certains intellos, de dénigrer une France « horizontale » en l’opposant au mirage d’une « verticalité » abstraite et glaciale. Celle de leurs ruminations conceptuelles. Ils se croient émancipés des attaches naturelles à tout peuple, ils ont simplement un mépris de caste pour le peuple. En réalité la France est le fruit de l’enracinement et du dépaysement. La sédentarité de son peuple, inscrite dans l’histoire plusieurs fois millénaire de la ruralité occidentale, a toujours été contrebalancée par une aspiration mystérieuse à s’extraire de sa glèbe. Depuis l’aube de son destin, ce peuple de laboureurs, de bretteurs et de rhéteurs extrapole ses désirs pour en faire de l’idéal. Pas toujours à bon escient. Quand sonne l’angélus, la France des clochers regarde le ciel, et les étoiles qui s’y allument ne sont pas de chez nous mais d’une contrée sans frontières, accessible à tous les mortels. Encore faut-il des clochers pour que ces épousailles du sol et du sens soient fécondes.