Vingt mille lieues sous les mers | страница 47



– Allons, ami Ned, demanda Conseil, que répondez-vous à l’objection de monsieur ? Je ne puis croire qu’un Américain soit jamais à bout de ressources ! »

Le harponneur, visiblement embarrassé, se taisait. Une fuite, dans les conditions où le hasard nous avait jetés, était absolument impossible. Mais un Canadien est à demi Français, et maître Ned Land le fit bien voir par sa réponse.

« Ainsi, monsieur Aronnax, reprit-il après quelques instants de réflexion, vous ne devinez pas ce que doivent faire des gens qui ne peuvent s’échapper de leur prison ?

– Non, mon ami.

– C’est bien simple, il faut qu’ils s’arrangent de manière à y rester.

– Parbleu ! fit Conseil, vaut encore mieux être dedans que dessus ou dessous !

– Mais après avoir jeté dehors geôliers, porte-clefs et gardiens, ajouta Ned Land.

– Quoi, Ned ? vous songeriez sérieusement à vous emparer de ce bâtiment ?

– Très sérieusement, répondit le Canadien.

– C’est impossible.

– Pourquoi donc, monsieur ? Il peut se présenter quelque chance favorable, et je ne vois pas ce qui pourrait nous empêcher d’en profiter. S’ils ne sont qu’une vingtaine d’hommes à bord de cette machine, ils ne feront pas reculer deux Français et un Canadien, je suppose ! »

Mieux valait admettre la proposition du harponneur que de la discuter. Aussi me contentai-je de répondre :

« Laissons venir les circonstances, maître Land, et nous verrons. Mais, jusque-là, je vous en prie, contenez votre impatience. On ne peut agir que par ruse, et ce n’est pas en vous emportant que vous ferez naître des chances favorables. Promettez-moi donc que vous accepterez la situation sans trop de colère.

– Je vous le promets, monsieur le professeur, répondit Ned Land d’un ton peu rassurant. Pas un mot violent ne sortira de ma bouche, pas un geste brutal ne me trahira, quand bien même le service de la table ne se ferait pas avec toute la régularité désirable.

– J’ai votre parole, Ned », répondis-je au Canadien.

Puis, la conversation fut suspendue, et chacun de nous se mit à réfléchir à part soi. J’avouerai que, pour mon compte, et malgré l’assurance du harponneur, je ne conservais aucune illusion. Je n’admettais pas ces chances favorables dont Ned Land avait parlé. Pour être si sûrement manœuvré, le bateau sous-marin exigeait un nombreux équipage, et conséquemment, dans le cas d’une lutte, nous aurions affaire à trop forte partie. D’ailleurs, il fallait, avant tout, être libres, et nous ne l’étions pas. Je ne voyais même aucun moyen de fuir cette cellule de tôle si hermétiquement fermée. Et pour peu que l’étrange commandant de ce bateau eût un secret à garder – ce qui paraissait au moins probable –, il ne nous laisserait pas agir librement à son bord. Maintenant, se débarrasserait-il de nous par la violence, ou nous jetterait-il un jour sur quelque coin de terre ? c’était là l’inconnu. Toutes ces hypothèses me semblaient extrêmement plausibles, et il fallait être un harponneur pour espérer de reconquérir sa liberté.