Vingt mille lieues sous les mers | страница 46
– En tout cas, dit le harponneur, j’ai une faim de tous les diables, et dîner ou déjeuner, le repas n’arrive guère !
– Maître Land, répliquai-je, il faut se conformer au règlement du bord, et je suppose que notre estomac avance sur la cloche du maître coq.
– Eh bien ! on le mettra à l’heure, répondit tranquillement Conseil.
– Je vous reconnais là, ami Conseil, riposta l’impatient Canadien. Vous usez peu votre bile et vos nerfs ! Toujours calme ! Vous seriez capable de dire vos grâces avant votre bénédicité, et de mourir de faim plutôt que de vous plaindre !
– À quoi cela servirait-il ? demanda Conseil.
– Mais cela servirait à se plaindre ! C’est déjà quelque chose. Et si ces pirates – je dis pirates par respect, et pour ne pas contrarier monsieur le professeur qui défend de les appeler cannibales –, si ces pirates se figurent qu’ils vont me garder dans cette cage où j’étouffe, sans apprendre de quels jurons j’assaisonne mes emportements, ils se trompent ! Voyons, monsieur Aronnax, parlez franchement. Croyez-vous qu’ils nous tiennent longtemps dans cette boîte de fer ?
– À dire vrai, je n’en sais pas plus long que vous, ami Land.
– Mais enfin, que supposez-vous ?
– Je suppose que le hasard nous a rendus maîtres d’un secret important. Or, si l’équipage de ce bateau sous-marin a intérêt à le garder, et si cet intérêt est plus grave que la vie de trois hommes, je crois notre existence très compromise. Dans le cas contraire, à la première occasion, le monstre qui nous a engloutis nous rendra au monde habité par nos semblables.
– À moins qu’il ne nous enrôle parmi son équipage, dit Conseil, et qu’il nous garde ainsi...
– Jusqu’au moment, répliqua Ned Land, où quelque frégate, plus rapide ou plus adroite que l’Abraham Lincoln, s’emparera de ce nid de forbans, et enverra son équipage et nous respirer une dernière fois au bout de sa grand-vergue.
– Bien raisonné, maître Land, répliquai-je. Mais on ne nous a pas encore fait, que je sache, de proposition à cet égard. Inutile donc de discuter le parti que nous devrons prendre, le cas échéant. Je vous le répète, attendons, prenons conseil des circonstances, et ne faisons rien, puisqu’il n’y a rien à faire.
– Au contraire ! monsieur le professeur, répondit démordre, il faut le harponneur, qui n’en voulait pas faire quelque chose.
– Eh ! quoi donc maître Land ?
– Nous sauver.
– Se sauver d’une prison « terrestre » est souvent difficile, mais d’une prison sous-marine, cela me paraît absolument impraticable.