Vingt mille lieues sous les mers | страница 28
« Hum ! pensai-je, une baleine qui aurait la force d’un régiment de cavalerie, ce serait une jolie baleine ! »
On resta sur le qui-vive jusqu’au jour, et l’on se prépara au combat. Les engins de pêche furent disposés le long des bastingages. Le second fit charger ces espingoles qui lancent un harpon à une distance de un mille, et de longues canardières à balles explosives dont la blessure est mortelle, même aux plus puissants animaux. Ned Land s’était contenté d’affûter son harpon, arme terrible dans sa main.
À six heures, l’aube commença à poindre, et avec les premières lueurs de l’aurore disparut l’éclat électrique du narval. À sept heures, le jour était suffisamment fait, mais une brume matinale très épaisse rétrécissait l’horizon et les meilleures lorgnettes ne pouvaient la percer. De là, désappointement et colère.
Je me hissai jusqu’aux barres d’artimon. Quelques officiers s’étaient déjà perchés à la tête des mâts.
À huit heures, la brume roula lourdement sur les flots, et ses grosses volutes se levèrent peu à peu. L’horizon s’élargissait et se purifiait à la fois.
Soudain, et comme la veille, la voix de Ned Land se fit entendre.
« La chose en question, par bâbord derrière ! » cria le harponneur.
Tous les regards se dirigèrent vers le point indiqué.
Là, à un mille et demi de la frégate, un long corps noirâtre émergeait d’un mètre au-dessus des flots. Sa queue, violemment agitée, produisait un remous considérable. Jamais appareil caudal ne battit la mer avec une telle puissance. Un immense sillage, d’une blancheur éclatante, marquait le passage de l’animal et décrivait une courbe allongée.
La frégate s’approcha du cétacé. Je l’examinai en toute liberté d’esprit. Les rapports du Shannon et de l’Helvetia avaient un peu exagéré ses dimensions, et j’estimai sa longueur à deux cent cinquante pieds seulement. Quant à sa grosseur, je ne pouvais que difficilement l’apprécier ; mais, en somme, l’animal me parut être admirablement proportionné dans ses trois dimensions.
Pendant que j’observais cet être phénoménal, deux jets de vapeur et d’eau s’élancèrent de ses évents, et montèrent à une hauteur de quarante mètres, ce qui me fixa sur son mode de respiration. J’en conclus définitivement qu’il appartenait à l’embranchement des vertébrés, classe des mammifères, sous-classe des monodelphiens, groupe des pisciformes, ordre des cétacés, famille... Ici, je ne pouvais encore me prononcer. L’ordre des cétacés comprend trois familles : les baleines, les cachalots et les dauphins, et c’est dans cette dernière que sont rangés les narvals. Chacune de ces familles se divise en plusieurs genres, chaque genre en espèces, chaque espèce en variétés. Variété, espèce, genre et famille me manquaient encore, mais je ne doutais pas de compléter ma classification avec l’aide du Ciel et du commandant Farragut.