Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 84




– Vite, vite, monseigneur, descendez, dit Aurilly, j’entends des pas au bout de la rue voisine.


Mais au lieu de se rendre à cet avis, le duc descendit lentement, sans rien perdre de son attention à interroger ses souvenirs.


– Il était temps ! dit Aurilly.


– De quel côté vient le bruit ? demanda le duc.


– De ce côté, dit Aurilly, et il étendit la main dans la direction d’une espèce de ruelle sombre.


Le prince écouta.


– Je n’entends plus rien, dit-il.


– La personne se sera arrêtée ; c’est quelque espion qui nous guette.


– Enlève l’échelle, dit le prince.


Aurilly obéit ; le prince, pendant ce temps, s’assit sur le banc de pierre qui bordait de chaque côté la porte de la maison.


Le bruit ne s’était point renouvelé, et personne ne paraissait à l’extrémité de la ruelle.


Aurilly revint.


– Eh bien ! monseigneur, demanda-t-il, est-elle belle ?


– Fort belle, répondit le prince d’un air sombre.


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– Qui vous fait si triste alors, monseigneur ? Vous aurait-elle vu ?


– Elle dort.


– De quoi vous préoccupez-vous en ce cas ?


Le prince ne répondit pas.


– Brune ?… blonde ?… interrogea Aurilly.


– C’est bizarre, Aurilly, murmura le prince, j’ai vu cette femme-là quelque part.


– Vous l’avez reconnue alors.


– Non, car je ne puis mettre aucun nom sur son visage ; seulement sa vue m’a frappé d’un coup violent au cœur.


Aurilly regarda le prince tout étonné, puis, avec un sourire dont il ne se donna pas la peine de dissimuler l’ironie :


– Voyez-vous cela ! dit-il.


– Eh ! monsieur, ne riez pas, je vous prie, répliqua sèchement François ; ne voyez-vous pas que je souffre ?


– Oh ! monseigneur, est-il possible ? s’écria Aurilly.


– Oui, en vérité, c’est comme je te le dis, je ne sais ce que j’éprouve ; mais, ajouta-t-il d’un air sombre, je crois que j’ai eu tort de regarder.


– Cependant, justement à cause de l’effet que sa vue a produit sur vous, il faut savoir quelle est cette femme, monseigneur.


– Certainement qu’il le faut, dit François.

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– Cherchez bien dans vos souvenirs, monseigneur ; est-ce à la cour que vous l’avez vue ?


– Non, je ne crois pas.


– En France, en Navarre, en Flandre ?


– Non.


– C’est une Espagnole peut-être ?


– Je ne crois pas.


– Une Anglaise ? quelque dame de la reine Élisabeth ?


– Non, non, elle doit se rattacher à ma vie d’une façon plus intime ; je crois qu’elle m’est apparue dans quelque terrible circonstance.


– Alors vous la reconnaîtrez facilement, car, Dieu merci ! la vie de monseigneur n’a pas vu beaucoup de ces circonstances dont Son Altesse parlait tout à l’heure.