Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 71




Non seulement ils étaient assis au bout de la table, mais encore à l’endroit le plus obscur de la chambre.


– Messieurs, dit Henri, vous êtes mal placés et vous ne mangez point, ce me semble.


– Merci, monsieur le comte, répondit l’un d’eux, nous sommes très fatigués, et nous avions en vérité plus besoin de sommeil que de nourriture ; nous avons déjà dit cela à messieurs vos officiers, mais ils ont insisté, disant que votre ordre était que nous soupassions avec vous. Ce nous est un grand honneur, et dont nous sommes bien reconnaissants. Mais néanmoins, si, au lieu de nous garder plus longtemps, vous aviez la bonté de nous faire donner une chambre…


Henri avait écouté avec la plus grande attention, mais il était évident que c’était bien plutôt la voix qu’il écoutait que la parole.


– Et c’est aussi l’avis de votre compagnon ? dit Henri, lorsque l’officier de marine eut cessé de parler.


Et il regardait ce compagnon, qui tenait son chapeau rabattu sur ses yeux et qui s’obstinait à ne pas souffler mot, avec une attention si profonde, que plusieurs des convives commencèrent à le regarder aussi.


Celui-ci, forcé de répondre à la question du comte, articula d’une façon presque inintelligible ces deux mots :

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– Oui, comte.


À ces deux mots, le jeune homme tressaillit.


Alors, se levant, il marcha droit au bas bout de la table, tandis que les assistants suivaient avec une attention singulière les mouvements de Henri et la manifestation bien visible de son étonnement.


Henri s’arrêta près des deux officiers.


– Monsieur, dit-il à celui qui avait parlé le premier, faites-moi une grâce.


– Laquelle, monsieur le comte.


– Assurez-moi que vous n’êtes pas le frère de M. Aurilly, ou peut-être M. Aurilly lui-même.


– Aurilly ! s’écrièrent tous les assistants.


– Et que votre compagnon, continua Henri, veuille bien relever un peu le chapeau qui lui couvre le visage, sans quoi je l’appellerai monseigneur, et je m’inclinerai devant lui.


Et en même temps, son chapeau à la main, Henri s’inclina respectueusement devant l’inconnu.


Celui-ci leva la tête.


– Monseigneur le duc d’Anjou ! s’écrièrent les officiers.


– Le duc vivant !


– Ma foi, messieurs, dit l’officier, puisque vous voulez bien reconnaître votre prince vaincu et fugitif, je ne résisterai pas plus longtemps à cette manifestation dont je vous suis

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reconnaissant ; vous ne vous trompiez pas, messieurs, je suis bien le duc d’Anjou.