Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 54




Et sans attendre les remercîments de ceux auxquels il avait sauvé la vie, Henri s’éloigna pour rejoindre les officiers qui l’attendaient.


Remy et Diane échangèrent un regard qui, s’il eût été vu du comte, eût été le remercîment si bien mérité de son courage et de sa délicatesse.


Les gendarmes d’Aunis auxquels nos fugitifs venaient de demander l’hospitalité, s’étaient retirés en bon ordre après la déroute et le sauve qui peut des chefs.

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Partout où il y a homogénéité de position, identité de sentiment et habitude de vivre ensemble, il n’est point rare de voir la spontanéité dans l’exécution après l’unité dans la pensée.


C’est ce qui était arrivé cette nuit même aux gendarmes d’Aunis.


Voyant leurs chefs les abandonner et les autres régiments chercher différents partis pour leur salut, ils s’entregardèrent, serrèrent leurs rangs au lieu de les rompre, mirent leurs chevaux au galop, et sous la conduite d’un de leurs enseignes, qu’ils aimaient fort à cause de sa bravoure, et qu’ils respectaient à un degré égal à cause de sa naissance, ils prirent la route de Bruxelles.


Comme tous les acteurs de cette terrible scène, ils virent tous les progrès de l’inondation et furent poursuivis par les eaux furieuses ; mais le bonheur voulut qu’ils rencontrassent sur leur chemin le bourg dont nous avons parlé, position forte à la fois contre les hommes et contre les éléments.


Les habitants, sachant qu’ils étaient en sûreté, n’avaient pas quitté leurs maisons, à part les femmes, les vieillards et les enfants qu’ils avaient envoyés à la ville ; aussi les gendarmes d’Aunis en arrivant trouvèrent-ils de la résistance ; mais la mort hurlait derrière eux : ils attaquèrent en hommes désespérés, triomphèrent de tous les obstacles, perdirent dix hommes à l’attaque de la chaussée, mais se logèrent et firent décamper les Flamands.


Une heure après, le bourg était entièrement cerné par les eaux, excepté du côté de cette chaussée par laquelle nous avons vu aborder Henri et ses compagnons.


Tel fut le récit que firent à du Bouchage les gendarmes d’Aunis.


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– Et le reste de l’armée ? demanda Henri.


– Regardez, répondit l’enseigne, à chaque instant passent des cadavres qui répondent à votre question.


– Mais… mais mon frère ? hasarda du Bouchage d’une voix étranglée.


– Hélas ! monsieur le comte, nous ne pouvons vous en donner de nouvelles certaines ; il s’est battu comme un lion ; trois fois nous l’avons retiré du feu. Il est certain qu’il avait survécu à la bataille, mais à l’inondation nous ne pouvons le dire.