Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 52




Quant à sa compagne, à part le froid qu’elle éprouvait, elle n’avait aucune blessure ; Henri l’avait garantie de tout ce dont il était en son pouvoir de la garantir.


Henri fut bien surpris de voir que ces deux êtres, si miraculeusement échappés à la mort, ne remerciaient que lui, et n’avaient pas eu pour Dieu, premier auteur de leur salut, une seule action de grâces.


La jeune femme fut debout la première ; elle remarqua qu’au fond de l’horizon, du côté de l’occident, on apercevait quelque chose comme des feux à travers la brume.


Il va sans dire que ces feux brûlaient sur un point élevé que l’inondation n’avait pu atteindre.


Autant qu’on pouvait en juger au milieu de ce froid crépuscule qui succédait à la nuit, ces feux étaient distants d’une lieue environ.


Remy s’avança sur le point de la colline qui se prolongeait du côté de ces feux, et il revint dire qu’il croyait qu’à mille pas à

– 94 –


peu près de l’endroit où l’on avait pris terre, commençait une espèce de jetée qui s’avançait en droite ligne vers les feux.


Ce qui faisait croire à Remy à une jetée, ou tout au moins à un chemin, c’était une double ligne d’arbres, directe et régulière.


Henri fit à son tour ses observations, qui se trouvèrent concorder avec celles de Remy ; mais cependant il fallait, dans cette circonstance, donner beaucoup au hasard.


L’eau, entraînée sur la déclivité de la plaine, les avait rejetés à gauche de leur route en leur faisant décrire un angle considérable ; cette dérivation, ajoutée à la course insensée des chevaux, leur ôtait tout moyen de s’orienter.


Il est vrai que le jour venait, mais nuageux et tout chargé de brouillard ; dans un temps clair, et sur un ciel pur, on eût aperçu le clocher de Malines, dont on ne devait être éloigné que de deux lieues à peu près.


– Eh bien, monsieur le comte, demanda Remy, que pensez-vous de ces feux ?


– Ces feux, qui semblent vous annoncer, à vous, un abri hospitalier, me semblent menaçants, à moi, et je m’en défie.


– Et pourquoi cela ?


– Remy, dit Henri en baissant la voix, voyez tous ces cadavres : tous sont français, pas un n’est flamand ; ils nous annoncent un grand désastre : les digues ont été rompues pour achever de détruire l’armée française, si elle a été vaincue ; pour détruire l’effet de sa victoire, si elle a triomphé. Pourquoi ces feux ne seraient-ils pas aussi bien allumés par des ennemis que par des amis, ou pourquoi ne seraient-ils pas tout simplement une ruse ayant pour but d’attirer les fugitifs ?