Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 43
Puis, un peu tranquillisé sur son compte, il redescendit au rez-de-chaussée, et, par un contrevent entr’ouvert, il se mit à guetter par une fenêtre grillée les mouvements du comte, qui, en les voyant entrer dans la maison, s’en était rapproché à l’instant même.
Les réflexions de Henri étaient sombres et en harmonie avec celles de Remy.
– Bien certainement, se disait-il, quelque danger inconnu à nous, mais connu des habitants, plane sur le pays : la guerre ravage la contrée ; les Français ont emporté Anvers ou vont l’emporter : saisis de terreur, les paysans ont été chercher un refuge dans les villes.
Cette explication était spécieuse, et cependant elle ne satisfaisait pas le jeune homme.
D’ailleurs elle le ramenait à un autre ordre de pensées.
– Que vont faire de ce côté Remy et sa maîtresse ? se demandait-il. Quelle impérieuse nécessité les pousse vers ce danger terrible ? Oh ! je le saurai, car le moment est enfin venu de parler à cette femme et d’en finir à jamais avec tous mes doutes. Nulle part encore l’occasion ne s’est présentée aussi belle.
Et il s’avança vers la maison.
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Mais tout à coup il s’arrêta.
– Non, non, dit-il avec une de ces hésitations subites si communes dans les cœurs amoureux, non, je serai martyr jusqu’au bout. D’ailleurs n’est-elle pas maîtresse de ses actions et sait-elle quelle fable a été forgée sur elle par ce misérable Remy ? Oh ! c’est à lui, c’est à lui seul que j’en veux, à lui qui m’assurait qu’elle n’aimait personne ! Mais, soyons juste encore, cet homme devait-il pour moi, qu’il ne connaît pas, trahir les secrets de sa maîtresse ? Non ! non ! mon malheur est certain, et ce qu’il y a de pire dans mon malheur, c’est qu’il vient de moi seul et que je ne puis en rejeter le poids sur personne. Ce qui lui manque, c’est la révélation entière de la vérité ; c’est de voir cette femme arriver au camp, suspendre ses bras au cou de quelque gentilhomme, et lui dire : Vois ce que j’ai souffert, et comprends combien je t’aime !
Eh bien ! je la suivrai jusque-là ; je verrai ce que je tremble de voir, et j’en mourrai : ce sera de la peine épargnée au mousquet et au canon.
Hélas ! vous le savez, mon Dieu ! ajoutait Henri avec un de ces élans comme il en trouvait parfois au fond de son âme, pleine de religion et d’amour, je ne cherchais pas cette suprême angoisse ; je m’en allais souriant à une mort réfléchie, calme, glorieuse ; je voulais tomber sur le champ de bataille avec un nom sur les lèvres, le vôtre, mon Dieu ! avec un nom dans le cœur, le sien ! Vous ne l’avez pas voulu, vous me destinez à une mort désespérée, pleine de fiel et de tortures : soyez béni, j’accepte.