Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 39




Plus de manteau, plus de capuchon, plus d’hésitation dans sa marche, la route était à lui comme aux autres ; il s’en empara tranquillement, réglant le pas de son cheval sur le pas des deux chevaux qui le précédaient.


Il était décidé à ne parler ni à Remy, ni à sa compagne, mais à se faire seulement reconnaître d’eux.


– Oh ! oui, oui, se disait-il, s’il leur reste à tous deux une parcelle de cœur, ma présence, bien qu’amenée par le hasard, n’en sera pas moins un sanglant reproche pour les gens sans foi qui me déchirent le cœur à plaisir.


Il n’avait pas fait cinq cents pas à la suite des deux voyageurs, que Remy l’aperçut.


Le voyant ainsi délibéré, ainsi reconnaissable, s’avancer le front haut et découvert, Remy se troubla.

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La dame s’en aperçut et se retourna.


– Ah ! dit-elle, n’est-ce pas ce jeune homme, Remy ?


Remy essaya encore de lui faire prendre le change et de la rassurer.


– Je ne pense point, madame, dit-il ; autant que je puis en juger par l’habit, c’est un jeune soldat wallon qui se rend sans doute à Amsterdam, et passe par le théâtre de la guerre pour y chercher aventure.


– N’importe, je suis inquiète, Remy.


– Rassurez-vous, madame, si ce jeune homme eût été le comte du Bouchage, il nous eût déjà abordés ; vous savez s’il était persévérant.


– Je sais aussi qu’il était respectueux, Remy, car, sans ce respect même, je me fusse contentée de vous dire : Éloignez-le, Remy, et je ne m’en fusse point inquiétée davantage.


– Eh bien, madame, s’il était si respectueux, ce respect, il l’aura conservé, et vous n’aurez pas plus à craindre de lui, en supposant que ce soit lui, sur la route de Bruxelles à Anvers qu’à Paris, dans la rue de Bussy.


– N’importe, continua la dame en regardant encore derrière elle, nous voici à Malines, changeons de chevaux, s’il le faut, pour marcher plus vite, mais hâtons-nous d’arriver à Anvers, hâtons-nous.


– Alors, au contraire, je vous dirai, madame, n’entrons point à Malines ; nos chevaux sont de bonne race, poussons jusqu’à ce bourg qu’on aperçoit là-bas à gauche et qui se nomme, je crois, Villebrock ; de cette façon nous éviterons la ville, l’auberge, les questions, les curieux, et nous serons moins

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embarrassés pour changer de chevaux ou d’habits si par hasard la nécessité exige que nous en changions.


– Allons, Remy, droit au bourg alors.


Ils prirent à gauche, s’engageant dans un sentier à peine frayé, mais qui, cependant, se rendait visiblement à Villebrock.