Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 37




Toutefois, l’œil défiant du bon serviteur déjoua presque cette combinaison, et, à tout hasard, le compagnon de Remy, prévenu par un seul mot, eut le temps de détourner son visage que Henri, cette fois encore, ne put apercevoir.


Mais le jeune homme ne perdit point courage ; il questionna dans la première hôtellerie qui donna asile aux voyageurs, et comme il accompagnait ses questions d’un irrésistible auxiliaire, il finit par apprendre que le compagnon de Remy était un jeune homme fort beau, mais fort triste, sobre, résigné, et ne parlant jamais de fatigue.


Henri tressaillit, un éclair illumina sa pensée.


– Ne serait-ce point une femme ? demanda-t-il.


– C’est possible, répondit l’hôte ; aujourd’hui beaucoup de femmes passent ainsi déguisées pour aller rejoindre leurs amants à l’armée de Flandre, et comme notre état à nous autres aubergistes est de ne rien voir, nous ne voyons rien.


Cette explication brisa le cœur de Henri. N’était-il pas probable, en effet, que Remy accompagnât sa maîtresse déguisée en cavalier ?


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Alors, et si cela était ainsi, Henri ne comprenait rien que de fâcheux dans cette aventure.


Sans doute, comme le disait l’hôte, la dame inconnue allait rejoindre son amant en Flandre.


Remy mentait donc lorsqu’il parlait de ces regrets éternels ; cette fable d’un amour passé qui avait à tout jamais habillé sa maîtresse de deuil, c’était donc lui qui l’avait inventée pour éloigner un surveillant importun.


– Eh bien ! alors, se disait Henri, plus brisé de cette espérance qu’il ne l’avait jamais été de son désespoir, eh bien !

tant mieux, un moment viendra où j’aurai le pouvoir d’aborder cette femme et de lui reprocher tous ces subterfuges qui abaisseront cette femme, que j’avais placée si haut dans mon esprit et dans mon cœur, au niveau des vulgarités ordinaires ; alors, alors, moi qui m’étais fait l’idée d’une créature presque divine, alors, en voyant de près cette enveloppe si brillante d’une âme tout ordinaire, peut-être me précipiterai-je moi-même du faîte de mes illusions, du haut de mon amour.


Et le jeune homme s’arrachait les cheveux et se déchirait la poitrine, à cette idée qu’il perdrait peut-être un jour cet amour et ces illusions qui le tuaient, tant il est vrai que mieux vaut un cœur mort qu’un cœur vide.


Il en était là, les ayant dépassés comme nous avons dit et rêvant à la cause qui avait pu pousser en Flandre, en même temps que lui, ces deux personnages indispensables à son existence, lorsqu’il les vit entrer à Bruxelles.