Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 148
– 295 –
haut degré des grandeurs ecclésiastiques, grâce à la noblesse de sa race et à la puissance de son esprit.
François de Joyeuse, que nous avons déjà introduit en scène pour éclaircir le doute de Henri de Valois à l’égard de Sylla, François de Joyeuse, jeune et mondain, beau et spirituel, était un des hommes les plus remarquables de l’époque.
Ambitieux par nature, mais circonspect par calcul et par position, François de Joyeuse pouvait prendre pour devise : Rien n’est trop, et justifier sa devise.
Peut-être seul de tous les hommes de cour et François de Joyeuse était un homme de cour avant tout, il avait su se faire deux soutiens des deux trônes religieux et laïque desquels il ressortissait comme gentil homme français et comme prince de l’Église ; Sixte le protégeait contre Henri III, Henri III le protégeait contre Sixte. Il était Italien à Paris, Parisien à Rome, magnifique et adroit partout.
L’épée seule de Joyeuse, le grand-amiral, donnait à ce dernier plus de poids dans la balance ; mais on voyait, à certains sourires du cardinal, que, s’il manquait de ces pesantes armes temporelles que, tout élégant qu’il était, maniait si bien le bras de son frère, il savait user et même abuser des armes spirituelles confiées à lui par le souverain chef de l’Église.
Le cardinal François de Joyeuse était promptement devenu riche, riche de son propre patrimoine d’abord, puis ensuite de ses différents bénéfices. En ce temps-là, l’Église possédait, et même possédait beaucoup, et quand ses trésors étaient épuisés, elle connaissait les sources, aujourd’hui taries, où les renouveler.
François de Joyeuse menait donc grand train. Laissant à son frère l’orgueil de la maison militaire, il encombrait ses antichambres de curés, d’évêques, d’archevêques ; il avait sa spécialité. Une fois cardinal, comme il était prince de l’Église, et par conséquent supérieur à son frère, il avait pris des pages à la
– 296 –
mode italienne et des gardes à la mode française. Mais ces gardes et ces pages n’étaient encore pour lui qu’un plus grand moyen de liberté. Souvent il rangeait gardes et pages autour d’une grande litière, par les rideaux de laquelle passait la main gantée de son secrétaire, tandis que lui, à cheval, l’épée au dos, courait la ville déguisé avec une perruque, une fraise énorme, et des bottes de cavalier dont le bruit réjouissait l’âme.
Le cardinal jouissait donc d’une fort grande considération, car, à de certaines élévations, les fortunes humaines sont absorbantes, et forcent, comme si elles étaient composées rien que d’atomes crochus, toutes les autres fortunes à s’allier à elles comme des satellites, et par cette raison, le nom glorieux de son père, l’illustration récente et inouïe de son frère Anne, jetaient sur lui tout leur éclat. En outre, comme il avait suivi scrupuleusement ce précepte, de cacher sa vie et de répandre son esprit, il n’était connu que par ses beaux côtés, et, dans sa famille même, passait pour un fort grand homme, bonheur que n’ont pas eu bien des empereurs chargés de gloire et couronnés par toute une nation.