Les Quarante-Cinq. Tome III | страница 130
Borromée rugit de fureur, et sauta en bas de la table.
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– À la bonne heure, dit Chicot ; nous voilà de plain-pied, et nous pouvons causer tout en escrimant. Ah ! capitaine, capitaine, nous assassinons donc quelquefois comme cela dans nos moments perdus, entre deux complots ?
– Je fais pour ma cause ce que vous faites pour la vôtre, dit Borromée, ramené aux idées sérieuses, et effrayé, malgré lui, du feu sombre qui jaillissait des yeux de Chicot.
– Voilà parler, dit Chicot, et cependant, l’ami, je vois avec plaisir que je vaux mieux que vous. Ah ! pas mal.
Borromée venait de porter à Chicot un coup qui avait effleuré sa poitrine.
– Pas mal, mais je connais la botte ; c’est celle que vous avez montrée au petit Jacques. Je disais donc que je valais mieux que vous, l’ami, car je n’ai point commencé la lutte, quelque bonne envie que j’en eusse ; il y a plus, je vous ai laissé accomplir votre projet, en vous donnant toute latitude, et même encore, dans ce moment, je ne fais que parer ; c’est que j’ai un arrangement à vous proposer.
– Rien ! s’écria Borromée, exaspéré de la tranquillité de Chicot, rien !
Et il lui porta une botte qui eût percé le Gascon d’outre en outre, si celui-ci n’eût pas fait, sur ses longues jambes, un pas qui le mit hors de la portée de son adversaire.
– Je vais toujours te le dire, cet arrangement, pour ne rien avoir à me reprocher.
– Tais-toi ! dit Borromée, inutile, tais-toi !
– Écoute, dit Chicot, c’est pour ma conscience ; je n’ai pas soif de ton sang, comprends-tu ? et ne veux te tuer qu’à la dernière extrémité.
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– Mais, tue, tue donc, si tu peux ! s’écria Borromée exaspéré.
– Non pas ; déjà une fois dans ma vie j’ai tué un autre ferrailleur comme toi, je dirai même un autre ferrailleur plus fort que toi. Pardieu ! tu le connais, il était aussi de la maison de Guise, lui, un avocat.
– Ah ! Nicolas David ! murmura Borromée, effrayé du précédent et se remettant sur la défensive.
– Justement.
– Ah ! c’est toi qui l’as tué ?
– Oh ! mon Dieu, oui, avec un joli petit coup que je vais te montrer, si tu n’acceptes pas l’arrangement.
– Eh bien ! quel est l’arrangement, voyons ?
– Tu passeras du service du duc de Guise à celui du roi, sans quitter cependant celui du duc de Guise.
– C’est-à-dire que je me ferais espion comme toi ?
– Non pas, il y aura une différence ; moi on ne me paie pas, et toi on te paiera ; tu commenceras par me montrer cette lettre de M. le duc de Guise à madame la duchesse de Montpensier ; tu m’en laisseras prendre une copie, et je te laisserai tranquille jusqu’à nouvelle occasion. Hein ! suis-je gentil ?