Les Quarante-cinq. Tome I | страница 81




– Ah ! bonsoir, duc, dit-il, je suis enchanté de vous voir.


D’Épernon s’inclina respectueusement.


– Pourquoi donc n’êtes-vous point venu voir écarteler ce coquin d’Espagnol ; vous saviez bien que vous aviez une place dans ma loge, puisque je vous l’avais fait dire ?


– Sire, je n’ai pas pu.


– Vous n’avez pas pu ?


– Non, sire, j’avais affaire.


– Ne dirait-on pas, en vérité, qu’il est mon ministre avec sa mine d’une coudée, et qu’il vient m’annoncer qu’un subside n’a pas été payé, dit Henri en levant les épaules.


– Ma foi, sire, dit d’Épernon prenant au bond la balle, Votre Majesté est dans le vrai ; le subside n’a pas été payé, et je suis sans un écu.


– Bon, fit Henri impatient.


– Mais, reprit d’Épernon, ce n’est point de cela qu’il s’agit, et je me hâte de le dire à Votre Majesté, car elle pourrait croire que ce sont là les affaires dont je me suis occupé.


– Voyons ces affaires, duc.


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– Votre Majesté sait ce qui s’est passé au supplice de Salcède.


– Parbleu, puisque j’y étais.


– On a tenté d’enlever le condamné.


– Je n’ai pas vu cela.


– C’est le bruit qui court par la ville cependant.


– Bruit, sans cause et sans résultat : on n’a pas remué.


– Je crois que Votre Majesté est dans l’erreur.


– Et sur quoi bases-tu ta croyance ?


– Sur ce que Salcède a démenti devant le peuple ce qu’il avait dit devant les juges.


– Ah ! vous savez déjà cela, vous ?


– Je tâche de savoir tout ce qui intéresse Votre Majesté.


– Merci, mais où voulez-vous en venir avec ce préambule ?


– À ceci : un homme qui meurt comme Salcède est mort en bien bon serviteur, sire.


– Eh bien ! après ?


– Le maître qui a de tels serviteurs est bien heureux : voilà tout.


– Et tu veux dire que je n’ai pas de tels serviteurs, moi, ou plutôt que je n’en ai plus ? Tu as raison, si c’est cela que tu veux dire.


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– Ce n’est pas cela que je veux dire. Votre Majesté trouverait dans l’occasion, et je puis en répondre mieux que personne, des serviteurs aussi fidèles qu’en a trouvés le maître de Salcède.


– Le maître de Salcède, le maître de Salcède ! nommez donc une fois les choses par leur nom, vous tous qui m’entourez.

Comment s’appelle-t-il ce maître ?


– Votre Majesté doit le savoir mieux que moi, elle qui s’occupe de politique.


– Je sais ce que je sais. Dites-moi ce que vous savez, vous.


– Moi, je ne sais rien ; seulement je me doute de beaucoup de choses.


– Bon ! dit Henri ennuyé, vous venez ici pour m’effrayer et me dire des choses désagréables, n’est-ce pas ? Merci, duc, je vous reconnais bien là.