Les Quarante-cinq. Tome I | страница 7




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– Dans cet enclos, dit Friard ; cela vous est plus aisé à dire qu’à faire, maître Miton. Je ne vois pas de trou pour entrer dans cet enclos, et vous n’avez pas la prétention de franchir cette haie qui est plus haute que moi.


– Je tâcherai, dit Miton, je tâcherai. Et il fit de nouveaux efforts.


– Ah ! prenez donc garde, ma bonne femme ! cria Friard du ton de détresse d’un homme qui commence à perdre la tête, votre âne me marche sur les talons. Ouf ! monsieur le cavalier, faites donc attention, votre cheval va ruer. Tudieu ! charretier, mon ami, vous me fourrez le brancard de votre charrette dans les côtes.


Pendant que maître Miton se cramponnait aux branches de la haie pour passer par-dessus, et que le compère Friard cherchait vainement une ouverture pour se glisser par-dessous, l’inconnu s’était levé, avait purement et simplement ouvert le compas de ses longues jambes, et d’un simple mouvement, pareil à celui que fait un cavalier pour se mettre en selle, il avait enjambé la haie sans qu’une seule branche effleurât son haut-de-chausse.


Maître Miton l’imita en déchirant le sien en trois endroits, mais il n’en fut point ainsi du compère Friard, qui, ne pouvant passer ni par-dessous ni par-dessus, et, de plus en plus menacé d’être écrasé par la foule, poussait des cris déchirants, lorsque l’inconnu allongea son grand bras, le saisit à la fois par sa fraise et par le collet de son pourpoint, et, l’enlevant, le transporta de l’autre côté de la haie avec la même facilité qu’il eût fait d’un enfant.


– Oh ! oh ! oh ! s’écria maître Miton, réjoui de ce spectacle et suivant des yeux l’ascension et la descente de son ami maître Friard, vous avez l’air de l’enseigne du Grand-Absalon.


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– Ouf ! s’écria Friard en touchant le sol, que j’aie l’air de tout ce que vous voudrez, me voilà de l’autre côté de la haie, et grâce à monsieur. Puis, se redressant pour regarder l’inconnu à la poitrine duquel il atteignait à peine : Ah ! monsieur, continua-t-il, que d’actions de grâces ! Monsieur, vous êtes un véritable Hercule, parole d’honneur, foi de Jean Friard. Votre nom, monsieur, le nom de mon sauveur, le nom de mon… ami ?


Et le brave homme prononça en effet ce dernier mot avec l’effusion d’un cœur profondément reconnaissant.


– Je m’appelle Briquet, monsieur, répondit l’inconnu, Robert Briquet, pour vous servir.


– Et vous m’avez déjà considérablement servi, monsieur Robert Briquet, j’ose le dire ; oh ! ma femme vous bénira ; Mais, à propos, ma pauvre femme ! ô mon Dieu, mon Dieu ! elle va être étouffée dans cette foule. Ah ! maudits Suisses qui ne sont bons qu’à faire écraser les gens !