Les Quarante-cinq. Tome I | страница 4




– Cent mille, c’est beaucoup, compère Friard, répondit le gros homme ; beaucoup, croyez-moi, suivront mon exemple, et n’iront pas voir écarteler ce malheureux Salcède, dans la crainte d’un hourvari, et ils auront raison.


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– Maître Miton, maître Miton, prenez garde, répondit le petit homme, vous parlez là comme un politique. Il n’y aura rien, absolument rien, je vous en réponds.


Puis, voyant que son interlocuteur secouait la tête d’un air de doute :


– N’est-ce pas, monsieur ? continua-t-il en se retournant vers l’homme aux longs bras et aux longues jambes, qui, au lieu de continuer à regarder du côté de Vincennes, venait, sans ôter sa main de dessus son visage, venait, disons-nous, de faire un quart de conversion et de choisir la barrière pour point de mire de son attention.


– Plaît-il ? demanda celui-ci, comme s’il n’eût entendu que l’interpellation qui lui était adressée et non les paroles précédant cette interpellation qui avaient été adressées au second bourgeois.


– Je dis qu’il n’y aura rien en Grève aujourd’hui.


– Je crois que vous vous trompez, et qu’il y aura l’écartèlement de Salcède, répondit tranquillement l’homme aux longs bras.


– Oui, sans doute ; mais j’ajoute qu’il n’y aura aucun bruit à propos de cet écartèlement.


– Il y aura le bruit des coups de fouet que l’on donnera aux chevaux.


– Vous ne m’entendez pas. Par bruit j’entends émeute ; or, je dis qu’il n’y aura aucune émeute en Grève : s’il avait dû y avoir émeute, le roi n’aurait pas fait décorer une loge à l’Hôtel-de-Ville pour assister au supplice avec les deux reines et une partie de la cour.


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– Est-ce que les rois savent jamais quand il doit y avoir des émeutes ? dit en haussant les épaules, avec un air de souveraine pitié, l’homme aux longs bras et aux longues jambes.


– Oh ! oh ! fit maître Miton en se penchant à l’oreille de son interlocuteur, voilà un homme qui parle d’un singulier ton : le connaissez-vous, compère ?


– Non, répondit le petit homme.


– Eh bien, pourquoi lui parlez-vous donc alors ?


– Je lui parle pour lui parler.


– Et vous avez tort ; vous voyez bien qu’il n’est point d’un naturel causeur.


– Il me semble cependant, reprit le compère Friard assez haut pour être entendu de l’homme aux longs bras, qu’un des grands bonheurs de la vie est d’échanger sa pensée.


– Avec ceux qu’on connaît, très bien, répondit maître Miton, mais non avec ceux que l’on ne connaît pas.