Les Quarante-cinq. Tome I | страница 33
– Je ne vois pas.
– Passez devant moi.
– Non, non, pas encore… Que fait-on ?
– Des nœuds coulants à l’extrémité des cordes.
– Et lui, que fait-il ?
– Qui, lui ?
– Le patient.
– 62 –
– Ses yeux tournent autour de lui comme ceux de l’autour qui guette.
Les chevaux étaient assez près de l’échafaud pour que les valets de l’exécuteur attachassent aux pieds et aux poings de Salcède les traits fixés à leurs colliers.
Salcède poussa un rugissement quand il sentit autour de ses chevilles le rugueux contact des cordes, qu’un nœud coulant serrait autour de sa chair.
Il adressa alors un suprême, un indéfinissable regard à toute cette immense place dont il embrassa les cent mille spectateurs dans le cercle de son rayon visuel.
– Monsieur, lui dit poliment le lieutenant Tanchon, vous plaît-il de parler au peuple avant que nous ne procédions ?
Et il s’approcha de l’oreille du patient pour ajouter tout bas :
– Un bon aveu… pour la vie sauve.
Salcède le regarda jusqu’au fond de l’âme.
Ce regard était si éloquent qu’il sembla arracher la vérité du cœur de Tanchon et la fit remonter jusque dans ses yeux, où elle éclata.
Salcède ne s’y trompa point ; il comprit que le lieutenant était sincère et tiendrait ce qu’il promettait.
– Vous voyez, continua Tanchon, on vous abandonne ; plus d’autre espoir en ce monde que celui que je vous offre.
– Eh bien ! dit Salcède avec un rauque soupir, faites faire silence, je suis prêt à parler.
– 63 –
– C’est une confession écrite et signée que le roi exige.
– Alors déliez-moi les mains et donnez-moi une plume, je vais écrire.
– Votre confession ?
– Ma confession, soit.
Tanchon, transporté de joie, n’eut qu’un signe à faire ; le cas était prévu. Un archer tenait toutes choses prêtes : il lui passa l’écritoire, les plumes, le papier, que Tanchon déposa sur le bois même de l’échafaud.
En même temps on lâchait de trois pieds environ la corde qui tenait le poignet droit de Salcède, et on le soulevait sur l’estrade pour qu’il pût écrire.
Salcède, assis enfin, commença par respirer avec force et par faire usage de sa main pour essuyer ses lèvres et relever ses cheveux qui tombaient humides de sueur sur ses genoux.
– Allons, allons, dit Tanchon, mettez-vous à votre aise, et écrivez bien tout.
– Oh ! n’ayez pas peur, répondit Salcède en allongeant sa main vers la plume ; soyez tranquille, je n’oublierai pas ceux qui m’oublient, moi.
Et sur ce mot il hasarda un dernier coup d’œil.