Les Quarante-cinq. Tome I | страница 24
Le peuple n’avait pas pour ce favori la haine qu’il portait autrefois à Maugiron, à Quélus et à Schomberg, haine dont d’Épernon seul avait hérité.
Le peuple accueillit donc le prince et les deux frères par de discrètes, mais flatteuses acclamations.
Henri salua la foule gravement et sans sourire, puis il baisa son chien sur la tète.
Alors, se retournant vers les jeunes gens :
– Adossez-vous à la tapisserie, Anne, dit-il à l’aîné ; ne vous fatiguez pas à demeurer debout : ce sera long peut-être.
– Je l’espère bien, interrompit Catherine, – long et bon, sire.
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– Vous croyez donc que Salcède parlera, ma mère ?
demanda Henri.
– Dieu donnera, je l’espère, cette confusion à nos ennemis.
Je dis nos ennemis, car ce sont vos ennemis aussi, ma fille, ajouta-t-elle en se tournant vers la reine, qui pâlit et baissa son doux regard.
Le roi hocha la tête en signe de doute.
Puis, se retournant une seconde fois vers Joyeuse, et voyant que celui-ci se tenait debout malgré son invitation :
– Voyons, Anne, dit-il, faites ce que j’ai dit ; adossez-vous au mur, ou accoudez-vous sur mon fauteuil.
– Votre Majesté est en vérité trop bonne, dit le jeune duc, et je ne profiterai de la permission que quand je serai véritablement fatigué.
– En nous n’attendrons pas que vous le soyez, n’est-ce pas, mon frère ? dit tout bas Henri.
– Sois tranquille, répondit Anne des yeux plutôt que de la voix.
– Mon fils, dit Catherine, ne vois-je pas du tumulte là-bas, au coin du quai ?
– Quelle vue perçante ! ma mère ; – oui, en effet, je crois que vous avez raison. Oh ! les mauvais yeux que j’ai, moi, qui ne suis pas vieux pourtant !
– Sire, interrompit librement Joyeuse, ce tumulte vient du refoulement du peuple sur la place par la compagnie des archers. C’est le condamné qui arrive, bien certainement.
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– Comme c’est flatteur pour des rois, dit Catherine, de voir écarteler un homme qui a dans les veines une goutte de sang royal !
Et en disant ces paroles, son regard pesait sur Louise.
– Oh ! Madame, pardonnez-moi, épargnez-moi, dit la jeune reine avec un désespoir qu’elle essayait en vain de dissimuler ; non, ce monstre n’est point de ma famille, et vous n’avez point voulu dire qu’il en était.
– Certes, non, dit le roi ; – et je suis bien certain que ma mère n’a point voulu dire cela.
– Eh ! mais, fit aigrement Catherine, il tient aux Lorrains, et les Lorrains sont vôtres, madame ; je le pense, du moins. Ce Salcède vous touche donc, et même d’assez près.