Les Quarante-cinq. Tome I | страница 19
Puis se retournant :
– Allons, à vous ! dit-il.
Ces paroles s’adressaient au quatrième postulant.
Il était seul et fort raide, réunissant le pouce et le médium pour donner des chiquenaudes à son pourpoint gris de fer et en chasser la poussière ; sa moustache, qui paraissait faite de poils de chat, ses yeux verts et étincelants, ses sourcils dont l’arcade formait un demi-cercle saillant au-dessus de deux pommettes saillantes, ses lèvres minces enfin imprimaient à sa physionomie ce type de défiance et de parcimonieuse réserve auquel on reconnaît l’homme qui cache aussi bien le fond de sa bourse que le fond de son cœur.
– Chalabre, 26 octobre, midi précis, porte Saint-Antoine.
C’est bon, allez ! dit Loignac.
– Il y aura des frais de route alloués au voyage, je présume, fit observer doucement le Gascon.
– Je ne suis pas trésorier, Monsieur, dit sèchement Loignac, je ne suis encore que portier, passez.
Chalabre passa.
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Derrière Chalabre venait un cavalier jeune et blond, qui, en tirant sa carte, laissa tomber de sa poche une clé et plusieurs tarots.
Il déclara s’appeler Saint-Capautel, et sa déclaration étant confirmée par sa carte qui se trouva être en règle, il suivit Chalabre.
Restait le sixième qui, sur l’injonction du page improvisé, était descendu de cheval et qui exhiba à M. de Loignac une carte sur laquelle on lisait :
« Ernauton de Carmainges, 26 octobre, midi précis, porte Saint-Antoine. »
Tandis que M. de Loignac lisait, le page, descendu de son côté, s’occupait à cacher sa tête en rattachant la gourmette parfaitement attachée du cheval de son faux maître.
– Le page est à vous, monsieur ? demanda Loignac à Ernauton en lui désignant du doigt le jeune homme.
– Vous voyez, monsieur le capitaine, dit Ernauton qui ne voulait mentir ni trahir, vous voyez qu’il bride mon cheval.
– Passez, fit Loignac en examinant avec attention M. de Carmainges dont la figure et la tournure paraissaient lui mieux convenir que celles de tous les autres.
– En voilà un supportable au moins, murmura-t-il.
Ernauton remonta à cheval ; le page, sans affectation, mais sans lenteur, l’avait précédé et se trouvait déjà mêlé au groupe de ses devanciers.
– Ouvrez la porte, dit Loignac, et laissez passer ces six personnes et les gens de leur suite.
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– Allons, vite, vite, mon maître, dit le page, en selle, et partons.
Ernauton céda encore une fois à l’ascendant qu’exerçait sur lui cette bizarre créature, et la porte étant ouverte, il piqua son cheval et s’enfonça, guidé par les indications du page, jusque dans le cœur du faubourg Saint-Antoine.