Les Quarante-cinq. Tome I | страница 122
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XVIII
La bourse de Chicot
Chicot passa toute la nuit à rêver sur son fauteuil. Rêver est le mot, car, en vérité, ce furent moins des pensées qui l’occupèrent que des rêves.
Revenir au passé, voir s’éclairer au feu d’un seul regard toute une époque presque effacée déjà de la mémoire, ce n’est pas penser. Chicot habita toute la nuit un monde déjà laissé par lui bien en arrière, et peuplé d’ombres illustres ou gracieuses que le regard de la femme pâle, semblable à une lampe fidèle, lui montrait défilant une à une devant lui avec son cortège de souvenirs heureux et terribles.
Chicot, qui regrettait tant son sommeil en revenant du Louvre, ne songea pas même à se coucher. Aussi quand l’aube vint argenter les vitraux de sa fenêtre :
– L’heure des fantômes est passée, dit-il, il s’agit de songer un peu aux vivants.
Il se leva, ceignit sa longue épée, jeta sur ses épaules un surtout de laine lie de vin, d’un tissu impénétrable aux plus fortes pluies, et, avec la stoïque fermeté du sage, il examina d’un coup d’œil le fond de sa bourse et la semelle de ses souliers.
Ceux-ci parurent à Chicot dignes de commencer une campagne ; celle-là méritait une attention particulière.
Nous ferons donc une halte à notre récit pour prendre le temps de la décrire à nos lecteurs.
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Chicot, homme d’ingénieuse imagination, comme chacun sait, avait creusé la maîtresse poutre qui traversait sa maison de bout en bout, concourant ainsi à la fois à l’ornement, car elle était peinte de diverses couleurs, et à la solidité, car elle avait dix-huit pouces au moins de diamètre.
Dans cette poutre, au moyen d’une concavité d’un pied et demi de long sur six pouces de large, il s’était fait un coffre-fort dont les flancs contenaient mille écus d’or.
Or, voici le calcul que s’était fait Chicot.
– Je dépense par jour, avait-il dit, la vingtième partie d’un de ces écus : j’ai donc là de quoi vivre vingt mille jours. Je ne les vivrai jamais, mais je puis aller à la moitié ; et puis, à mesure que je vieillirai, mes besoins et par conséquent mes dépenses s’augmenteront, car encore faut-il que le bien-être progresse en proportion de la diminution de la vie. Tout cela me fait vingt-cinq ou trente bonnes années à vivre. Allons, c’est, Dieu merci !
bien assez.
Chicot se trouvait donc, grâce au calcul que nous venons de faire après lui, un des plus riches rentiers de la ville de Paris, et cette tranquillité sur son avenir lui donnait un certain orgueil.