Les Quarante-cinq. Tome I | страница 119
– Il a harangué l’orchestre. Eh ! tenez, mon frère, le voilà qui va parler encore.
En effet, Briquet, décidé à tirer la chose au clair, se levait pour interroger une seconde fois le chef de l’orchestre.
– Taisez-vous, là-haut, et rentrez, cria Anne de mauvaise humeur ; que diable ! puisque vous avez eu votre sérénade, vous n’avez rien à dire, tenez-vous donc en repos.
– Ma sérénade, ma sérénade, répondit Chicot de l’air le plus gracieux ; mais je veux savoir au moins à qui elle est adressée, ma sérénade.
– À votre fille, imbécile !
– Pardon, monsieur, mais je n’ai pas de fille.
– À votre femme alors.
– Grâce à Dieu ! je ne suis pas marié.
– Alors à vous, à vous en personne.
– Oui, à toi, et si tu ne rentres pas.
Joyeuse, joignant l’effet à la menace, poussa son cheval vers le balcon de Chicot, et cela, tout au travers des instrumentistes.
– Ventre de biche ! cria Chicot, si la musique est pour moi, qui donc vient ici m’écraser ma musique ?
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– Vieux fou ! grommela Joyeuse en levant la tête, si tu ne caches pas ta laide figure dans ton nid de corbeau, les musiciens vont te casser leurs instruments sur la nuque.
– Laissez ce pauvre homme, mon frère, dit du Bouchage ; le fait est qu’il doit être fort étonné.
– Et pourquoi s’étonne-t-il, morbleu ! D’ailleurs tu vois bien qu’en faisant naître une querelle, nous attirerons quelqu’un à la fenêtre ; donc, rossons le bourgeois, brûlons sa maison s’il le faut, mais, corbleu ! remuons-nous, remuons-nous !
– Par pitié, mon frère, dit Henri, n’extorquons pas l’attention de cette femme, nous sommes vaincus ; résignons-nous.
Briquet n’avait pas perdu un mot de ce dernier dialogue qui avait introduit un grand jour dans ses idées encore confuses ; il faisait donc mentalement ses préparatifs de défense, connaissant l’humeur de celui qui l’attaquait.
Mais Joyeuse, se rendant au raisonnement de Henri, n’insista point davantage ; il congédia pages, valets, musiciens et maestro.
Puis tirant son frère à part :
– Tu me vois au désespoir, dit-il, tout conspire contre nous.
– Que veux-tu dire ?
– Le temps me manque pour t’aider.
– En effet, tu es en costume de voyage, je n’avais point encore remarqué cela.
– Je pars cette nuit pour Anvers avec une mission du roi.
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– Quand donc te l’a-t-il donnée ?
– Ce soir.
– Mon Dieu !
– Viens avec moi, je t’en supplie ?
Henri laissa tomber ses bras.
– Me l’ordonnez-vous, mon frère ? demanda-t-il, pâlissant à l’idée de ce départ.