Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 41




– Elle ne s’est point fâchée ?


– Loin de là ; elle n’a pas même eu l’air de comprendre.


– De comprendre quoi ?


– De comprendre que je lui eusse écrit.


– Cependant, il a bien fallu qu’elle vous comprît pour vous rendre la lettre, car je présume qu’elle vous l’a rendue.


– Pas le moins du monde.


– Au moins, vous êtes-vous assuré qu’elle l’avait brûlée ?


– Mon cher monsieur d’Herblay, il y a déjà une heure que je joue aux propos interrompus, et je commence à avoir assez de ce jeu, si amusant qu’il soit. Comprenez-moi donc bien ; la petite a feint de ne pas comprendre ce que je lui disais ; elle a nié avoir reçu

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aucune lettre ; donc, ayant nié positivement la réception, elle n’a pu ni me la rendre, ni la brûler.


– Oh ! oh ! dit Aramis avec inquiétude, que me dites-vous là ?


– Je vous dis qu’elle m’a juré sur ses grands dieux n’avoir reçu aucune lettre.


– Oh ! c’est trop fort ! Et vous n’avez pas insisté ?


– J’ai insisté, au contraire, jusqu’à l’impertinence.


– Et elle a toujours nié ?


– Toujours.


– Elle ne s’est pas démentie un seul instant ?


– Pas un seul instant.


– Mais alors, mon cher, vous lui avez laissé notre lettre entre les mains ?


– Il l’a, pardieu ! bien fallu.


– Oh ! C’est une grande faute.


– Que diable eussiez-vous fait à ma place, vous ?


– Certes, on ne pouvait la forcer, mais cela est inquiétant ; une pareille lettre ne peut demeurer contre nous.


– Oh ! cette jeune fille est généreuse.


– Si elle l’eût été réellement, elle vous eût rendu votre lettre.

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– Je vous dis qu’elle est généreuse ; j’ai vu ses yeux, je m’y connais.


– Alors, vous la croyez de bonne foi ?


– Oh ! de tout mon cœur.


– Eh bien ! moi, je crois que nous nous trompons.


– Comment cela ?


– Je crois qu’effectivement, comme elle vous l’a dit, elle n’a point reçu la lettre.


– Comment ! point reçu la lettre ?


– Non.


– Supposeriez-vous !…


– Je suppose que, par un motif que nous ignorons, votre homme n’a pas remis la lettre.


Fouquet frappa sur un timbre.


Un valet parut.


– Faites venir Tobie, dit-il.


Un instant après parut un homme à l’œil inquiet, à la bouche fine, aux bras courts, au dos voûté.


Aramis attacha sur lui son œil perçant.


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– Voulez-vous me permettre de l’interroger moi-même ?

demanda Aramis.


– Faites, dit Fouquet.


Aramis fit un mouvement pour adresser la parole au laquais, mais il s’arrêta.


– Non, dit-il, il verrait que nous attachons trop d’importance à sa réponse ; interrogez-le, vous ; moi, je vais feindre d’écrire.