Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 39
Cependant, comme il pouvait venir de la part du roi, et, d’après la conversation que nous avons rapportée, la chose était bien possible, elle jeta un coup d’œil sur son miroir, allongea encore les longues boucles de ses cheveux, et donna l’ordre qu’il fût introduit.
La Vallière cependant ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain trouble. La visite du surintendant n’était pas un événement vulgaire dans la vie d’une femme de la Cour. Fouquet, si célèbre par sa générosité, sa galanterie et sa délicatesse avec les femmes, avait reçu plus d’invitations qu’il n’avait demandé d’audiences.
Dans beaucoup de maisons, la présence du surintendant avait signifié fortune. Dans bon nombre de cœurs, elle avait signifié amour.
Fouquet entra respectueusement chez La Vallière, se présentant avec cette grâce qui était le caractère distinctif des hommes éminents de ce siècle, et qui aujourd’hui ne se comprend plus,
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même dans les portraits de l’époque, où le peintre a essayé de les faire vivre.
La Vallière répondit au salut cérémonieux de Fouquet par une révérence de pensionnaire, et lui indiqua un siège.
Mais Fouquet, s’inclinant :
– Je ne m’assoirai pas, mademoiselle, dit-il, que vous ne m’ayez pardonné.
– Moi ? demanda La Vallière.
– Oui, vous.
– Et pardonné quoi, mon Dieu ?
Fouquet fixa son plus perçant regard sur la jeune fille, et ne crut voir sur son visage que le plus naïf étonnement.
– Je vois, mademoiselle, dit-il, que vous avez autant de générosité que d’esprit, et je lis dans vos yeux le pardon que le sollicitais. Mais il ne me suffit pas du pardon des lèvres, je vous en préviens, il me faut encore le pardon du cœur et de l’esprit.
– Sur ma parole, monsieur, dit La Vallière, je vous jure que je ne vous comprends pas.
– C’est encore une délicatesse qui me charme, répondit Fouquet, et je vois que ne voulez point que j’aie à rougir devant vous.
– Rougir ! rougir devant moi ! Mais, voyons, dites, de quoi rougiriez vous ?
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– Me tromperais-je, dit Fouquet, et aurais-je le bonheur que mon procédé envers vous ne vous eût pas désobligée ?
La Vallière haussa les épaules.
– Décidément, monsieur, dit-elle, vous parlez par énigmes, et je suis trop ignorante, à ce qu’il paraît, pour vous comprendre.
– Soit, dit Fouquet, je n’insisterai pas. Seulement, dites-moi, je vous en supplie, que je puis compter sur votre pardon plein et entier.
– Monsieur, dit La Vallière avec une sorte d’impatience, je ne puis vous faire qu’une réponse, et j’espère qu’elle vous satisfera. Si je savais quel tort vous avez envers moi, je vous le pardonnerais. À