Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 30




Tout à coup quelque chose passa dans l’air comme une bouffée de flammes suivies d’un grondement sourd et lointain.


– Ah ! dit l’un des deux en relevant la tête, voici l’orage.

Regagnons-nous les carrosses, mon cher d’Herblay ?


Aramis leva les yeux en l’air et interrogea le temps.


– Oh ! dit-il, rien ne presse encore.


Puis, reprenant la conversation où il l’avait sans doute laissée :


– Vous dites donc que la lettre que nous avons écrite hier au soir doit être à cette heure parvenue à destination ?


– Je dis qu’elle l’est certainement.


– Par qui l’avez-vous fait remettre ?


– Par mon grison, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire.


– A-t-il rapporté la réponse ?

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– Je ne l’ai pas revu ; sans doute la petite était à son service près de Madame ou s’habillait chez elle, elle l’aura fait attendre. L’heure de partir est venue et nous sommes partis. Je ne puis, en conséquence, savoir ce qui s’est passé là-bas.


– Vous avez vu le roi avant le départ ?


– Oui.


– Comment l’avez-vous trouvé ?


– Parfait ou infâme, selon qu’il aurait été vrai ou hypocrite.


– Et la fête ?


– Aura lieu dans un mois.


– Il s’y est invité ?


– Avec une insistance où j’ai reconnu Colbert.


– C’est bien.


– La nuit ne vous a point enlevé vos illusions ?


– Sur quoi ?


– Sur le concours que vous pouvez m’apporter en cette circonstance.


– Non, j’ai passé la nuit à écrire, et tous les ordres sont donnés.


– La fête coûtera plusieurs millions, ne vous le dissimulez pas.


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– J’en ferai six… Faites-en de votre côté deux ou trois à tout hasard.


– Vous êtes un homme miraculeux, mon cher d’Herblay.


Aramis sourit.


– Mais, demanda Fouquet avec un reste d’inquiétude, puisque vous remuez ainsi les millions, pourquoi, il y a quelques jours, n’avez-vous pas donné de votre poche les cinquante mille francs à Baisemeaux ?


– Parce que, il y a quelques jours, j’étais pauvre comme Job.


– Et aujourd’hui ?


– Aujourd’hui, je suis plus riche que le roi.


– Très bien, fit Fouquet, je me connais en hommes. Je sais que vous êtes incapable de me manquer de parole ; je ne veux point vous arracher votre secret : n’en parlons plus.


En ce moment, un grondement sourd se fit entendre qui éclata tout à coup en un violent coup de tonnerre.


– Oh ! oh ! fit Fouquet, je vous le disais bien.


– Allons, dit Aramis, rejoignons les carrosses.


– Nous n’aurons pas le temps, dit Fouquet, voici la pluie.


En effet, comme si le ciel se fût ouvert, une ondée aux larges gouttes fit tout à coup résonner le dôme de la forêt.