Le vicomte de Bragelonne. Tome III | страница 14



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La Vallière cacha sa tête dans ses mains en étouffant un sanglot.

Le roi continua impitoyablement ; il se vengeait sur la pauvre victime de tout ce qu’il avait souffert.


– Supposons donc cette fable que je l’aime et que je l’aie distingué. Le roi est si naïf et si orgueilleux à la fois, qu’il me croira, et alors nous irons raconter cette naïveté du roi, et nous rirons.


– Oh ! s’écria La Vallière, penser cela, penser cela, c’est affreux !


– Et, poursuivit le roi, ce n’est pas tout : si ce prince orgueilleux vient à prendre au sérieux la plaisanterie, s’il a l’imprudence d’en témoigner publiquement quelque chose comme de la joie, eh bien !

devant toute la cour, le roi sera humilié ; or, ce sera, un jour, un récit charmant à faire à mon amant, une part de dot à apporter à mon mari, que cette aventure d’un roi joué par une malicieuse jeune fille.


– Sire ! s’écria La Vallière égarée, délirante, pas un mot de plus, je vous en supplie ; vous ne voyez donc pas que vous me tuez ?


– Oh ! raillerie, murmura le roi, qui commençait cependant à s’émouvoir.


La Vallière tomba à genoux, et cela si rudement, que ses genoux résonnèrent sur le parquet.


Puis, joignant les mains :


– Sire, dit-elle, je préfère la honte à la trahison.


– Que faites-vous ? demanda le roi, mais sans faire un mouvement pour relever la jeune fille.


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– Sire, quand je vous aurai sacrifié mon honneur et ma raison, vous croirez peut-être à ma loyauté. Le récit qui vous a été fait chez Madame et par Madame est un mensonge ; ce que j’ai dit sous le grand chêne…


– Eh bien ?


– Cela seulement, c’était la vérité.


– Mademoiselle ! s’écria le roi.


– Sire, s’écria La Vallière entraînée par la violence de ses sensations, Sire, dussé-je mourir de honte à cette place où sont enracinés mes deux genoux, je vous le répéterai jusqu’à ce que la voix me manque : j’ai dit que je vous aimais… eh bien ! je vous aime !


– Vous ?


– Je vous aime, Sire, depuis le jour où je vous ai vu, depuis qu’à Blois, où je languissais, votre regard royal est tombé sur moi, lumineux et vivifiant ; je vous aime ! Sire. C’est un crime de lèse-majesté, je le sais, qu’une pauvre fille comme moi aime son roi et le lui dise. Punissez-moi de cette audace, méprisez-moi pour cette imprudence ; mais ne dites jamais, mais ne croyez jamais que je vous ai raillé, que je vous ai trahi. Je suis d’un sang fidèle à la royauté, Sire ; et j’aime… j’aime mon roi !… Oh ! je me meurs !