Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 98



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– Le général Monck, Sire, ne peut avoir découvert le trésor dont je vous parle.


– Oui, mais dois-je aller me livrer à Monck pour le recouvrer, ce trésor ? Ah ! vous le voyez donc bien, comte, il faut en finir avec la destinée, puisqu'elle me terrasse à chaque fois que je me relève. Que faire avec Parry pour tout serviteur, avec Parry, que Monck a déjà chassé une fois ?


– Non, non, comte, acceptons ce dernier coup.


– Ce que Votre Majesté ne peut faire, ce que Parry ne peut plus tenter, croyez-vous que moi je puisse y réussir ?


– Vous, vous comte, vous iriez !


– Si cela plaît à Votre Majesté, dit Athos en saluant le roi, oui, j'irai, Sire.


– Vous si heureux ici, comte !


– Je ne suis jamais heureux, Sire, tant qu'il me reste un devoir à accomplir, et c'est un devoir suprême que m'a légué le roi votre père de veiller sur votre fortune et de faire un emploi royal de son argent.

Ainsi, que Votre Majesté me fasse un signe, et je pars avec elle.


– Ah ! monsieur, dit le roi, oubliant toute étiquette royale et se jetant au cou d'Athos, vous me prouvez qu'il y a un Dieu au ciel, et que ce Dieu envoie parfois des messagers aux malheureux qui gémissent sur cette terre.


Athos, tout ému de cet élan du jeune homme, le remercia avec un profond respect, et s'approchant de la fenêtre :


– Grimaud, dit-il, mes chevaux.

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– Comment ! ainsi, tout de suite ? dit le roi. Ah ! monsieur, vous êtes, en vérité, un homme merveilleux.


– Sire ! dit Athos, je ne connais rien de plus pressé que le service de Votre Majesté. D'ailleurs, ajouta-t-il en souriant, c'est une habitude contractée depuis longtemps au service de la reine votre tante et au service du roi votre père. Comment la perdrais-je précisément à l'heure où il s'agit du service de Votre Majesté ?


– Quel homme ! murmura le roi.


Puis, après un instant de réflexion :


– Mais non, comte, je ne puis vous exposer à de pareilles privations. Je n'ai rien pour récompenser de pareils services.


– Bah ! dit en riant Athos, Votre Majesté me raille, elle a un million. Ah ! que ne suis je riche seulement de la moitié de cette somme, j'aurais déjà levé un régiment. Mais, Dieu merci ! il me reste encore quelques rouleaux d'or et quelques diamants de famille. Votre Majesté, je l'espère, daignera partager avec un serviteur dévoué.


– Avec un ami. Oui, comte, mais à condition qu'à son tour cet ami partagera avec moi plus tard.


– Sire, dit Athos en ouvrant une cassette, de laquelle il tira de l'or et des bijoux, voilà maintenant que nous sommes trop riches.