Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 91




Cet homme, vieillard grand et maigre, à cheveux blancs, nous parlons de celui qui se tenait près de la grille, cet homme répondait aux signaux que lui faisait le jeune homme par des signes d'adieu aussi tendres que les eût faits un père. Le jeune homme finit par disparaître au premier tournant de la route bordée de beaux arbres, et le vieillard s'apprêtait à rentrer dans la maison, lorsque les deux voyageurs, arrivés en face de cette grille, attirèrent son attention.


Le roi, nous l'avons dit, cheminait la tête baissée, les bras inertes, se laissant aller au pas et presque au caprice de son cheval ; tandis que Parry, derrière lui, pour se mieux laisser pénétrer de la tiède influence du soleil, avait ôté son chapeau et promenait ses regards à droite et à gauche du chemin. Ses yeux se rencontrèrent avec ceux du vieillard adossé à la grille, et qui, comme s'il eût été frappé de quelque spectacle étrange, poussa une exclamation et fit un pas vers les deux voyageurs. De Parry, ses yeux se portèrent immédiatement au roi, sur lequel ils s'arrêtèrent un instant.


Cet examen, si rapide qu'il fût, se refléta à l'instant même d'une façon visible sur les traits du grand vieillard ; car à peine eut-il reconnu le plus jeune des voyageurs, et nous disons reconnu, car il n'y avait qu'une reconnaissance positive qui pouvait expliquer un pareil acte ; à peine, disons-nous, eut-il reconnu le plus jeune des deux voyageurs, qu'il joignit d'abord les mains avec une

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respectueuse surprise, et, levant son chapeau de sa tête, salua si profondément qu'on eût dit qu'il s'agenouillait.


Cette démonstration, si distrait ou plutôt si plongé que fût le roi dans ses réflexions, attira son attention à l'instant même. Charles, arrêtant donc son cheval et se retournant vers Parry :


– Mon Dieu ! Parry, dit-il, quel est donc cet homme qui me salue ainsi ? Me connaîtrait-il, par hasard ?


Parry, tout agité, tout pâle, avait déjà poussé son cheval du côté de la grille.


– Ah ! Sire, dit-il en s'arrêtant tout à coup à cinq ou six pas du vieillard toujours agenouillé, Sire, vous me voyez saisi d'étonnement, car il me semble que je reconnais ce brave homme.

Eh ! oui, c'est bien lui-même. Votre Majesté permet que je lui parle ?


– Sans doute.


– Est-ce donc vous, monsieur Grimaud ? demanda Parry.


– Oui, moi, dit le grand vieillard en se redressant, mais sans rien perdre de son attitude respectueuse.


– Sire, dit alors Parry, je ne m'étais pas trompé, cet homme est le serviteur du comte de La Fère, et le comte de La Fère, si vous vous en souvenez, est ce digne gentilhomme dont j'ai si souvent parlé à Votre Majesté, que le souvenir doit en être resté, non seulement dans son esprit, mais encore dans son cœur.