Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 80




– Je ne recevrai personne avant deux heures, dit-il, entendez-vous, monsieur ?


– Sire, répliqua le gentilhomme, il y a cependant quelqu’un qui demandait à entrer.


– Qui donc ?


– Votre lieutenant de mousquetaires.


– Celui qui m'a accompagné ?


– Oui, Sire.


– Ah ! fit le roi. Voyons, qu'il entre. L'officier entra.


Le roi fit signe, le gentilhomme et le valet de chambre sortirent.

Louis les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils eussent refermé la porte, et lorsque les tapisseries furent retombées derrière eux :


– Vous me rappelez par votre présence, monsieur, dit le roi, ce que j'avais oublié de vous recommander, c'est-à-dire la discrétion la plus absolue.


– Oh ! Sire, pourquoi Votre Majesté se donne-t-elle la peine de me faire une pareille recommandation ? on voit bien qu'elle ne me connaît pas.


– Oui, monsieur, c'est la vérité ; je sais que vous êtes discret ; mais comme je n'avais rien prescrit…


L'officier s'inclina.

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– Votre Majesté n'a plus rien à me dire ? demanda-t-il.


– Non, monsieur, et vous pouvez vous retirer.


– Obtiendrai-je la permission de ne pas le faire avant d'avoir parlé au roi, Sire ?


– Qu'avez-vous à me dire ? Expliquez-vous, monsieur.


– Sire, une chose sans importance pour vous, mais qui m'intéresse énormément, moi. Pardonnez-moi donc de vous en entretenir. Sans l'urgence, sans la nécessité, je ne l'eusse jamais fait, et je fusse disparu, muet, et petit, comme j'ai toujours été.


– Comment, disparu ! Je ne vous comprends pas.


– Sire, en un mot, dit l'officier, je viens demander mon congé à Votre Majesté.


Le roi fit un mouvement de surprise, mais l'officier ne bougea pas plus qu'une statue.


– Votre congé, à vous, monsieur ? et pour combien de temps, je vous prie ?


– Mais pour toujours, Sire.


– Comment, vous quitteriez mon service, monsieur ? dit Louis avec un mouvement qui décelait plus que de la surprise.


– Sire, j'ai ce regret.


– Impossible.


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– Si fait, Sire : je me fais vieux ; voilà trente-quatre ou trente-cinq ans que je porte le harnais ; mes pauvres épaules sont fatiguées ; je sens qu'il faut laisser la place aux jeunes.


« Je ne suis pas du nouveau siècle, moi ! j'ai encore un pied pris dans l'ancien ; il en résulte que tout étant étrange à mes yeux, tout m'étonne et tout m'étourdit. Bref ! j'ai l'honneur de demander mon congé à Votre Majesté.


– Monsieur, dit le roi en regardant l'officier, qui portait sa casaque avec une aisance que lui eût enviée un jeune homme, vous êtes plus fort et plus vigoureux que moi.