Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 71




Puis, se ravisant :


– Non, dit-il, pas encore ! J'ai une superbe épreuve à faire, et je la ferai ; mais celle-là, je le jure, ce sera la dernière, mordioux !


Il n'avait pas achevé, qu'une voix partit de la chambre du roi.


– Monsieur le lieutenant ! dit cette voix.


– Me voici, répondit-il.


– 124 –


– Le roi demande à vous parler.


– Allons, dit le lieutenant, peut-être est-ce pour ce que je pense.

Et il entra chez le roi.


– 125 –


Chapitre XII – Le roi et le lieutenant


Lorsque le roi vit l'officier près de lui, il congédia son valet de chambre et son gentilhomme.


– Qui est de service demain, monsieur ? demanda-t-il alors. Le lieutenant inclina la tête avec une politesse de soldat et répondit :


– Moi, Sire.


– Comment, encore vous ?


– Moi toujours.


– Comment cela se fait-il, monsieur ?


– Sire, les mousquetaires, en voyage, fournissent tous les postes de la maison de Votre Majesté, c'est-à-dire le vôtre, celui de la reine mère et celui de M. le cardinal, qui emprunte au roi la meilleure partie ou plutôt la plus nombreuse partie de sa garde royale.


– Mais les intérims ?


– Il n'y a d'intérim, Sire, que pour vingt ou trente hommes qui se reposent sur cent vingt. Au Louvre, c'est différent, et si j'étais au Louvre, je me reposerais sur mon brigadier ; mais en route, Sire, on ne sait ce qui peut arriver et j'aime assez faire ma besogne moi-même.


– Ainsi, vous êtes de garde tous les jours ?


– Et toutes les nuits, oui, Sire.


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– Monsieur, je ne puis souffrir cela, et je veux que vous vous reposiez.


– C'est fort bien, Sire, mais moi, je ne le veux pas.


– Plaît-il ? fit le roi, qui ne comprit pas tout d'abord le sens de cette réponse.


– Je dis, Sire, que je ne veux pas m'exposer à une faute. Si le diable avait un mauvais tour à me jouer, vous comprenez, Sire, comme il connaît l'homme auquel il a affaire, il choisirait le moment où je ne serais point là. Mon service avant tout et la paix de ma conscience.


– Mais à ce métier-là, monsieur, vous vous tuerez.


– Eh ! Sire, il y a trente-cinq ans que je le fais, ce métier-là, et je suis l'homme de France et de Navarre qui se porte le mieux. Au surplus, Sire, ne vous inquiétez pas de moi, je vous prie ; cela me semblerait trop étrange, attendu que je n'en ai pas l'habitude.


Le roi coupa court à la conversation par une question nouvelle.


– Vous serez donc là demain matin ? demanda-t-il.


– Comme à présent, oui, Sire.


Le roi fit alors quelques tours dans sa chambre ; il était facile de voir qu'il brûlait du désir de parler, mais qu'une crainte quelconque le retenait. Le lieutenant, debout, immobile, le feutre à la main, le poing sur la hanche, le regardait faire ses évolutions, et tout en le regardant, il grommelait en mordant sa moustache :