Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 59




– Oh ! des chiffres ! dit Bernouin. Bon ! si Votre Éminence se jette dans ses calculs, je lui promets pour demain la plus belle migraine ! et avec cela que M. Guénaud n'est pas ici.


– Tu as raison, Bernouin. Eh bien ! tu vas remplacer Brienne, mon ami. En vérité, j'aurais dû emmener avec moi M. de Colbert.

Ce jeune homme va bien, Bernouin, très bien. Un garçon d'ordre !


– Je ne sais pas, dit le valet de chambre, mais je n'aime pas sa figure, moi, à votre jeune homme qui va bien.


– C'est bon, c'est bon, Bernouin ! On n'a pas besoin de votre avis. Mettez-vous là, prenez la plume, et écrivez.


– M'y voici ; monseigneur. Que faut-il que j'écrive ?


– Là, c'est bien, à la suite de deux lignes déjà tracées.


– M'y voici.

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– Écris. Sept cent soixante mille livres.


– C'est écrit.


– Sur Lyon…


Le cardinal paraissait hésiter.


– Sur Lyon, répéta Bernouin.


– Trois millions neuf cent mille livres.


– Bien, monseigneur.


– Sur Bordeaux, sept millions.


– Sept, répéta Bernouin.


– Eh ! oui, dit le cardinal avec humeur, sept.


Puis, se reprenant :


– Eh ! monseigneur, que ce soit à dépenser ou à encaisser, peu m'importe, puisque tous ces millions ne sont pas à moi.


– Ces millions sont au roi ; c'est l'argent du roi que je compte.

Voyons, nous disions ?… Tu m'interromps toujours !


– Sept millions, sur Bordeaux.


– Ah ! oui, c'est vrai. Sur Madrid, quatre. Je t'explique bien à qui est cet argent, Bernouin, attendu que tout le monde a la sottise de me croire riche à millions. Moi, je repousse la sottise. Un ministre n'a rien à soi, d'ailleurs. Voyons, continue. Rentrées

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générales, sept millions. Propriétés, neuf millions. As-tu écrit, Bernouin ?


– Oui, monseigneur.


– Bourse, six cent mille livres ; valeurs diverses, deux millions.

Ah ! j'oubliais : mobilier des différents châteaux…


– Faut-il mettre de la couronne ? demanda Bernouin.


– Non, non, inutile ; c'est sous-entendu. As-tu écrit, Bernouin ?


– Oui, monseigneur.


– Et les chiffres ?


– Sont alignés au-dessous les uns des autres.


– Additionne, Bernouin.


– Trente-neuf millions deux cent soixante mille livres, monseigneur.


– Ah ! fit le cardinal avec une expression de dépit, il n'y a pas encore quarante millions !


Bernouin recommença l'addition.


– Non, monseigneur, il s'en manque sept cent quarante mille livres.


Mazarin demanda le compte et le revit attentivement.


– C'est égale dit Bernouin, trente-neuf millions deux cent soixante mille livres, cela fait un joli denier.