Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 44
– Mlle Arnoux, disait la princesse en présentant à Sa Majesté une grosse blonde de vingt-deux ans, qu'à la fête d'un village on eût prise pour une paysanne endimanchée, Mlle Arnoux, fille de ma maîtresse de musique.
Le roi sourit. Madame n'avait jamais pu tirer quatre notes justes de la viole ou du clavecin.
– Mlle Aure de Montalais, continua Madame, fille de qualité et bonne servante.
Cette fois ce n'était plus le roi qui riait, c'était la jeune fille présentée, parce que, pour la première fois de sa vie, elle s'entendait
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donner par Madame, qui d'ordinaire ne la gâtait point, une si honorable qualification.
Aussi Montalais, notre ancienne connaissance, fit-elle à Sa Majesté une révérence profonde, et cela autant par respect que par nécessité, car il s'agissait de cacher certaines contractions de ses lèvres rieuses que le roi eût bien pu ne pas attribuer à leur motif réel. Ce fut juste en ce moment que le roi entendit le mot qui le fit tressaillir.
– Et la troisième s'appelle ? demandait Monsieur.
– Marie, monseigneur, répondait le cardinal.
Il y avait sans doute dans ce mot quelque puissance magique, car, nous l'avons dit, à ce mot le roi tressaillit, et, entraînant Madame vers le milieu du cercle, comme s'il eût voulu confidentiellement lui faire quelque question, mais en réalité pour se rapprocher du cardinal :
– Madame ma tante, dit-il en riant et à demi-voix, mon maître de géographie ne m'avait point appris que Blois fût à une si prodigieuse distance de Paris.
– Comment cela, mon neveu ? demanda Madame.
– C'est qu'en vérité il paraît qu'il faut plusieurs années aux modes pour franchir cette distance. Voyez ces demoiselles.
– Eh bien ! je les connais.
– Quelques-unes sont jolies.
– Ne dites pas cela trop haut, monsieur mon neveu, vous les rendriez folles.
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– Attendez, attendez, ma chère tante, dit le roi en souriant, car la seconde partie de ma phrase doit servir de correctif à la première.
Eh bien ! ma chère tante, quelques-unes paraissent vieilles et quelques autres laides, grâce à leurs modes de dix ans.
– Mais, Sire, Blois n'est cependant qu'à cinq journées de Paris.
– Eh ! dit le roi, c'est cela, deux ans de retard par journée.
– Ah ! vraiment, vous trouvez ? C'est étrange, je ne m'aperçois point de cela, moi.
– Tenez, ma tante, dit Louis XIV en se rapprochant toujours de Mazarin sous prétexte de choisir son point de vue, voyez, à côté de ces affiquets vieillis et de ces coiffures prétentieuses, regardez cette simple robe blanche. C'est une des filles d'honneur de ma mère, probablement, quoique je ne la connaisse pas. Voyez quelle tournure simple, quel maintien gracieux ! À la bonne heure ! c'est une femme, cela, tandis que toutes les autres ne sont que des habits.