Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 28




C'était précisément le jour où elle s'était évadée par la fameuse fenêtre. Le plat de macaroni était resté sur la table, effleuré seulement par la bouche royale.


De cette double faveur faite à la maison triangulaire, d'une strangulation et d'un macaroni, l'idée était venue au pauvre Cropoli de nommer son hôtellerie d'un titre pompeux. Mais sa qualité d'Italien n'était pas une recommandation en ce temps-là, et son peu de fortune soigneusement cachée l'empêchait de se mettre trop en évidence. Quand il se vit près de mourir, ce qui arriva en 1643, après la mort du roi Louis XIII, il fit venir son fils, jeune marmiton de la plus belle espérance, et, les larmes aux yeux, il lui recommanda de bien garder le secret du macaroni, de franciser son nom, d'épouser une Française, et enfin, lorsque l'horizon politique serait débarrassé des nuages qui le couvraient – on pratiquait déjà à cette époque cette figure, fort en usage de nos jours dans les premiers Paris et à la Chambre, – de faire tailler par le forgeron voisin une belle enseigne, sur laquelle un fameux peintre qu'il désigna tracerait deux portraits de la reine avec ces mots en légende

: Aux Médicis. Le bonhomme Cropoli, après ces

recommandations, n'eut que la force d'indiquer à son jeune successeur une cheminée sous la dalle de laquelle il avait enfoui mille louis de dix francs, et il expira. Cropoli fils, en homme de cœur, supporta la perte avec résignation et le gain sans insolence.


Il commença par accoutumer le public à faire sonner si peu l'i final de son nom, que, la complaisance générale aidant, on ne l'appela plus que M. Cropole, ce qui est un nom tout français.


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Ensuite il se maria, ayant justement sous la main une petite Française dont il était amoureux, et aux parents de laquelle il arracha une dot raisonnable en montrant le dessous de la dalle de la cheminée. Ces deux premiers points accomplis, il se mit à la recherche du peintre qui devait faire l'enseigne.


Le peintre fut bientôt trouvé.


C'était un vieil Italien émule des Raphaël et des Carrache, mais émule malheureux. Il se disait de l'école vénitienne, sans doute parce qu'il aimait fort la couleur. Ses ouvrages, dont jamais il n'avait vendu un seul, tiraient l'œil à cent pas et déplaisaient formidablement aux bourgeois, si bien qu'il avait fini par ne plus rien faire.


Il se vantait toujours d'avoir peint une salle de bains pour Mme la maréchale d'Ancre, et se plaignait que cette salle eût été brûlée lors du désastre du maréchal.