Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 21




– Madame, vous parlez par énigmes et vous nous faites mourir à petit feu ! s'écria Montalais, qui, effrayée de voir Louise de plus en plus pâle, ne savait à quel saint se vouer.


Enfin elle surprit de sa compagne un regard parlant, un de ces regards qui donneraient de l'intelligence à un mur.


Louise indiquait à son amie le chapeau, le malencontreux chapeau de Raoul qui se pavanait sur la table.


Montalais se jeta au-devant, et, le saisissant de sa main gauche, le passa derrière elle dans la droite, et le cacha ainsi tout en parlant.


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– Eh bien ! dit Mme de Saint-Remy, un courrier nous arrive qui annonce la prochaine arrivée du roi. Ça, mesdemoiselles, il s'agit d'être belles !


– Vite ! vite ! s'écria Montalais, suivez Mme votre mère, Louise, et me laissez ajuster ma robe de cérémonie.


Louise se leva, sa mère la prit par la main et l'entraîna sur le palier.


– Venez, dit-elle.


Et tout bas :


– Quand je vous défends de venir chez Montalais, pourquoi y venez-vous ?


– Madame, c'est mon amie. D'ailleurs, j'arrivais.


– On n'a fait cacher personne devant vous ?


– Madame !


– J'ai vu un chapeau d'homme, vous dis-je : celui de ce drôle, de ce vaurien !


– Madame ! s'écria Louise.


– De ce fainéant de Malicorne ! Une fille d'honneur fréquenter ainsi… fi !


Et les voix se perdirent dans les profondeurs du petit escalier.


Montalais n'avait pas perdu un mot de ces propos que l'écho lui renvoyait comme par un entonnoir.

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Elle haussa les épaules, et, voyant Raoul qui, sorti de sa cachette, avait écouté aussi :


– Pauvre Montalais ! dit-elle, victime de l'amitié !… Pauvre Malicorne !… victime de l'amour !


Elle s'arrêta sur la mine tragi-comique de Raoul, qui s'en voulut d'avoir en un jour surpris tant de secrets.


– Oh ! mademoiselle, dit-il, comment reconnaître vos bontés ?


– Nous ferons quelque jour nos comptes, répliqua-t-elle ; pour le moment, gagnez au pied, monsieur de Bragelonne, car Mme de Saint-Remy n'est pas indulgente, et quelque indiscrétion de sa part pourrait amener ici une visite domiciliaire fâcheuse pour nous tous. Adieu !


– Mais Louise… comment savoir ?…


– Allez ! allez ! le roi Louis XI savait bien ce qu'il faisait lorsqu'il inventa la poste.


– Hélas ! dit Raoul.


– Et ne suis-je pas là, moi, qui vaux toutes les postes du royaume ? Vite à votre cheval ! et que si Mme de Saint-Remy remonte pour me faire de la morale, elle ne vous trouve plus ici.


– Elle le dirait à mon père, n'est-ce pas ? murmura Raoul.