Le vicomte de Bragelonne. Tome I | страница 105




Depuis qu'il n'était plus au service de personne, d'Artagnan s'était promis d'avoir le sommeil aussi dur qu'il l'avait léger autrefois ; mais de si bonne foi que d'Artagnan se fût fait cette promesse, et quelque désir qu'il eût de se la tenir religieusement, il fut réveillé au milieu de la nuit par un grand bruit de carrosses et de laquais à cheval. Une illumination soudaine embrasa les murs de sa chambre ; il sauta hors de son lit tout en chemise et courut à la fenêtre.


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« Est-ce que le roi revient, par hasard ? pensa-t-il en se frottant les yeux, car en vérité voilà une suite qui ne peut appartenir qu'à une personne royale. »


– Vive M. le surintendant ! cria ou plutôt vociféra à une fenêtre du rez-de-chaussée une voix qu'il reconnut pour celle de Bazin, lequel, tout en criant, agitait un mouchoir d'une main et tenait une grosse chandelle de l'autre.


D'Artagnan vit alors quelque chose comme une brillante forme humaine qui se penchait à la portière du principal carrosse ; en même temps de longs éclats de rire, suscités sans doute par l'étrange figure de Bazin, et qui sortaient du même carrosse, laissaient comme une traînée de joie sur le passage du rapide cortège.


– J'aurais bien dû voir, dit d'Artagnan, que ce n'était pas le roi ; on ne rit pas de si bon cœur quand le roi passe. Hé ! Bazin ! cria-t-il à son voisin qui se penchait aux trois quarts hors de la fenêtre pour suivre plus longtemps le carrosse des yeux, hé ! qu'est-ce que cela ?


– C'est M. Fouquet, dit Bazin d'un air de protection.


– Et tous ces gens ?


– C'est la cour de M. Fouquet.


– Oh ! oh ! dit d'Artagnan, que dirait M. de Mazarin s'il entendait cela ? Et il se recoucha tout rêveur en se demandant comment il se faisait qu'Aramis fût toujours protégé par le plus puissant du royaume.


« Serait-ce qu'il a plus de chance que moi ou que je serais plus sot que lui ? Bah ! »


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C'était le mot concluant à l'aide duquel d'Artagnan devenu sage terminait maintenant chaque pensée et chaque période de son style.

Autrefois, il disait « Mordioux ! » ce qui était un coup d'éperon.

Mais maintenant il avait vieilli, et il murmurait ce bah

!

philosophique qui sert de bride à toutes les passions.


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Chapitre XVIII – Où d'Artagnan cherche Porthoset ne trouve que Mousqueton


Lorsque d'Artagnan se fut bien convaincu que l'absence de M. le vicaire général d'Herblay était réelle, et que son ami n'était point trouvable à Melun ni dans les environs, il quitta Bazin sans regret, donna un coup d'œil sournois au magnifique château de Vaux, qui commençait à briller de cette splendeur qui fit sa ruine, et pinçant ses lèvres comme un homme plein de défiance et de soupçons, il piqua son cheval pie en disant :