Том 4. Письма, 1820-1849 | страница 23
Честь имею пребывать с совершенным уважением, милостивый государь граф, вашего сиятельства
нижайший и покорнейший слуга
Ф. Тютчев
Гагарину И. С., 20–21 апреля/2-3 мая 1836>*
Munich. Ce 2 mai 1836
Mon bien cher ami. J’ose à peine espérer qu’en revoyant mon écriture vous n’éprouviez plutôt une impression pénible qu’agréable. Ma conduite à votre égard est inqualifiable dans toute la vague énergie de ce mot. Et quelle que soit ou quelle qu’ait été votre amitié pour moi, quelle que soit l’aptitude de votre esprit à comprendre les excentricités les plus extravagantes du caractère ou de l’esprit d’autrui, je désespère en vérité de vous expliquer mon silence. Sachez que depuis des mois ce maudit silence me pèse comme un cauchemar, qu’il m’étouffe, qu’il m’étrangle… et bien que pour le dissiper il eût suffi d’un très léger mouvement des doigts… jusqu’à l’heure d’aujourd’hui je ne suis pas parvenu à effectuer ce mouvement sauveur, à rompre ce sortilège.
Je suis un exemple vivant de cette fatalité, si morale et si logique, qui fait de chaque vice sortir le châtiment qui lui est dû. Je suis un apologue, une parabole, destinée à prouver les détestables conséquences de la paresse… Car enfin c’est cette maudite paresse qui est le mot de l’énigme. C’est elle qui, en grossissant de plus en plus mon silence, a fini par m’en accabler comme sous une avalanche. C’est elle qui a dû me donner à vos yeux toutes les apparences de l’indifférence la plus brutale, de la plus stupide insensibilité. Et Dieu sait pourtant, mon ami, qu’il n’en est rien. En écartant les phrases, je ne vous dirai que ceci: depuis l’instant de notre séparation, il ne s’est pas passé un jour que vous ne m’ayez manqué. Croyez, mon cher Gagarine, qu’il y a peu d’amoureux qui pourrait en conscience en dire autant à sa maîtresse.
Toutes vos lettres m’ont fait grand plaisir, toutes ont été lues et relues… A chacune d’entr’elles j’ai fait au moins vingt réponses. Est-ce ma faute si elles ne vous sont pas parvenues, faute d’avoir été écrites. Ah, l’écriture est un terrible mal, c’est comme une seconde chute pour la pauvre intelligence, comme un redoublement de matière… Je sens que si je me laissais aller, je vous écrirais une bien longue, longue lettre, tendante uniquement à vous prouver l’insuffisance, l’inutilité, l’absurdité des lettres… Mon Dieu, comment peut-on écrire? Tenez, voilà une chaise vide auprès de moi, voilà des cigares, voilà du thé… Venez, asseyez-vous et causons. — Ah oui… causons comme nous l’avons si souvent fait, comme je ne le fais plus.