Черная речка. До и после - К истории дуэли Пушкина | страница 54
Vous avez dû remarquer dans ma correspondance que je ne me suis jamais occupé que de vous et de moi, comme de ce qu'il y a de plus intéressant pour nous deux; cependant cette fois je ne puis résister au désir de vous donner quelques nouvelles sur l'Empereur et sur son dernier séjour à Varsovie, d'autant plus que les journaux n'en parleront pas pour la raison qu'ils ne le sauront pas, ainsi que Gevers, qui vous en gardera le silence pour la même raison.
L'Empereur après son retour de Kaliche s'arrêta quelques jours à Varsovie, la noblesse y avait envoyé des députés pour le complimenter. Il les reçut et à la première parole des députés, il l'arrêta tout court en leur disant qu'il ne voulait pas entendre des vœux que le cœur ne pensait pas, qu'on lui avait fait quelques mois avant la révolution les mêmes protestations d'amour et de dévouement et que cependant on lui avait manqué comme homme et comme souverain, que rêver une Pologne indépendante était une utopie à laquelle il fallait renoncer; qu'il ferait leur bonheur malgré eux, mais que du reste au premier mouvement qui se manifesterait dans la capitale, qu'il la ferait foudroyer, que toutes les précautions étaient prises (en effet l'on vient d'achever la forteresse qui domine la ville), que l'on devait considérer le Maréchal comme un second lui-même, que tout ce qu'il faisait et ferait avait son approbation d'avance. C'est bien ceci, et si tous les Empereurs et Rois avaient toujours parlé comme Nicolas, et toujours agi, il n'y aurait jamais eu de révolutions et nous en serions tous plus heureux. Mais malheureusement les hommes comme lui sont rares. Comme toute chose a toujours son côté plaisant, la charmante Elisa s'est chargé de la partie plaisante. Elle raconte maintenant qu'elle connaissait les intentions hostiles des Polonais contre l'Empereur et que son pèlerinage chez le Saint Métrophane n'avait d'autre but que celui de sauver l'Empereur du poignard Polonais; à cette histoire, elle en ajoute une autre qu'elle prétend lui être arrivée dans l'intérieur de la Russie avec un paysan, et qu'elle a fait beaucoup de bien au gouvernement. C'est elle qui parle:
"Me trouvant dans une petite ville et m'ennuyant très fort — 10 heures du soir étaient arrivées, heure à laquelle j'ai pris l'habitude de causer — ne sachant où donner de la tête et ayant déjà épuisé toute l'érudition de Daniouchka (c'est sa femme de chambre), cette dernière me sauva heureusement en se rappelant que le propriétaire de la maison avait à plusieurs reprises manifesté le désir de voir de plus près et de pouvoir causer avec la fille du grand Coutousoff; aussitôt je le fis chercher. Quel fut mon étonnement et en même temps mon plaisir de voir que le paysan se présentait fort bien, et qu'il avait une charmante figure. Je le fis asseoir aussitôt à côté de moi sur le sofa et l'engageais à prendre du thé. Après lui avoir beaucoup causé et lui avoir dit combien nous étions heureux à Pétersbourg d'avoir et de voir tous les jours un si grand Souverain, qui était tellement beau qu'il était impossible de l'apercevoir sans l'adorer, et aussi que par lui dans tout Pétersbourg il n'y avait pas un seul malheureux, figurez-vous de ma stupeur quand cet homme, après m'avoir regardé quelques instants, m'a dit avec un air de finesse: Dites-moi Madame, est-il vrai que les Français vivent sous un gouvernement si heureux, et qu'il n'y a de bonheur véritable qu'avec de pareilles lois? Vous pouvez penser si j'ai employé toute mon éloquence pour lui ouvrir les yeux et lui faire voir dans quelle route vicieuse l'on voulait engager ses sentiments, et comme il est impossible de ne pas bien rendre ce que l'on éprouve vivement, je n'ai pas eu de peine à lui prouver et à le convaincre qu'il n'y avait que l'Empereur Nicolas qui était capable de faire le bonheur du peuple Russe"