Vingt mille lieues sous les mers | страница 86
Le capitaine Nemo était là. Il m’attendait, se leva, salua, et me demanda s’il me convenait de l’accompagner.
Comme il ne fit aucune allusion à son absence pendant ces huit jours, je m’abstins de lui en parler, et je répondis simplement que mes compagnons et moi nous étions prêts à le suivre.
« Seulement, monsieur, ajoutai-je, je me permettrai de vous adresser une question.
– Adressez, monsieur Aronnax, et, si je puis y répondre, j’y répondrai.
– Eh bien, capitaine, comment se fait-il que vous qui avez rompu toute relation avec la terre, vous possédiez des forêts dans l’île Crespo ?
– Monsieur le professeur, me répondit le capitaine, les forêts que je possède ne demandent au soleil ni sa lumière ni sa chaleur. Ni les lions, ni les tigres, ni les panthères, ni aucun quadrupède ne les fréquentent. Elles ne sont connues que de moi seul. Elles ne poussent que pour moi seul. Ce ne sont point des forêts terrestres, mais bien des forêts sous-marines.
– Des forêts sous-marines ! m’écriai-je.
– Oui, monsieur le professeur.
– Et vous m’offrez de m’y conduire ?
– Précisément.
– À pied ?
– Et même à pied sec.
– En chassant ?
– En chassant.
– Le fusil à la main ?
– Le fusil à la main. »
Je regardai le commandant du Nautilus d’un air qui n’avait rien de flatteur pour sa personne.
« Décidément, il a le cerveau malade, pensai-je. Il a eu un accès qui a duré huit jours, et même qui dure encore. C’est dommage ! Je l’aimais mieux étrange que fou ! »
Cette pensée se lisait clairement sur mon visage, mais le capitaine Nemo se contenta de m’inviter à le suivre, et je le suivis en homme résigné à tout.
Nous arrivâmes dans la salle à manger, où le déjeuner se trouvait servi.
« Monsieur Aronnax, me dit le capitaine, je vous prierai de partager mon déjeuner sans façon. Nous causerons en mangeant. Mais, si je vous ai promis une promenade en forêt, je ne me suis point engagé à vous y faire rencontrer un restaurant. Déjeunez donc en homme qui ne dînera probablement que fort tard. »
Je fis honneur au repas. Il se composait de divers poissons et de tranches d’holothuries, excellents zoophytes, relevés d’algues très apéritives, telles que la Porphyria laciniata et la Laurentia primafetida. La boisson se composait d’eau limpide à laquelle, à l’exemple du capitaine, j’ajoutai quelques gouttes d’une liqueur fermentée, extraite, suivant la mode kamtchatkienne, de l’algue connue sous le nom de « Rhodoménie palmée ».