Vingt mille lieues sous les mers | страница 8
« Ainsi donc, disais-je, après avoir examiné une à une les diverses hypothèses, toute autre supposition étant rejetée, il faut nécessairement admettre l’existence d’un animal marin d’une puissance excessive.
« Les grandes profondeurs de l’océan nous sont totalement inconnues. La sonde n’a su les atteindre. Que se passe-t-il dans ces abîmes reculés ? Quels êtres habitent et peuvent habiter à douze ou quinze milles au-dessous de la surface des eaux ? Quel est l’organisme de ces animaux ? On saurait à peine le conjecturer.
« Cependant, la solution du problème qui m’est soumis peut affecter la forme du dilemme.
« Ou nous connaissons toutes les variétés d’êtres qui peuplent notre planète, ou nous ne les connaissons pas.
« Si nous ne les connaissons pas toutes, si la nature a encore des secrets pour nous en ichtyologie, rien de plus acceptable que d’admettre l’existence de poissons ou de cétacés, d’espèces ou même de genres nouveaux, d’une organisation essentiellement « fondrière », qui habitent les couches inaccessibles à la sonde, et qu’un événement quelconque, une fantaisie, un caprice, si l’on veut, ramène à de longs intervalles vers le niveau supérieur de l’océan.
« Si, au contraire, nous connaissons toutes les espèces vivantes, il faut nécessairement chercher l’animal en question parmi les êtres marins déjà catalogués, et dans ce cas, je serais disposé à admettre l’existence d’un Narval géant.
« Le narval vulgaire ou licorne de mer atteint souvent une longueur de soixante pieds. Quintuplez, décuplez même cette dimension, donnez à ce cétacé une force proportionnelle à sa taille, accroissez ses armes offensives, et vous obtenez l’animal voulu. Il aura les proportions déterminées par les officiers du Shannon, l’instrument exigé par la perforation du Scotia, et la puissance nécessaire pour entamer la coque d’un steamer.
« En effet, le narval est armé d’une sorte d’épée d’ivoire, d’une hallebarde, suivant l’expression de certains naturalistes. C’est une dent principale qui a la dureté de l’acier. On a trouvé quelques-unes de ces dents implantées dans le corps des baleines que le narval attaque toujours avec succès. D’autres ont été arrachées, non sans peine, de carènes de vaisseaux qu’elles avaient percées d’outre en outre, comme un foret perce un tonneau. Le musée de la Faculté de médecine de Paris possède une de ces défenses longue de deux mètres vingt-cinq centimètres, et large de quarante-huit centimètres à sa base !