Vingt mille lieues sous les mers | страница 54
« Asseyez-vous, me dit-il, et mangez comme un homme qui doit mourir de faim. »
Le déjeuner se composait d’un certain nombre de plats dont la mer seule avait fourni le contenu, et de quelques mets dont j’ignorais la nature et la provenance. J’avouerai que c’était bon, mais avec un goût particulier auquel je m’habituai facilement. Ces divers aliments me parurent riches en phosphore, et je pensai qu’ils devaient avoir une origine marine.
Le capitaine Nemo me regardait. Je ne lui demandai rien, mais il devina mes pensées, et il répondit de lui-même aux questions que je brûlais de lui adresser.
« La plupart de ces mets vous sont inconnus, me dit-il. Cependant, vous pouvez en user sans crainte. Ils sont sains et nourrissants. Depuis longtemps, j’ai renoncé aux aliments de la terre, et je ne m’en porte pas plus mal. Mon équipage, qui est vigoureux, ne se nourrit pas autrement que moi.
– Ainsi, dis-je, tous ces aliments sont des produits de la mer ?
– Oui, monsieur le professeur, la mer fournit à tous mes besoins. Tantôt je mets mes filets à la treine, et je les retire, prêts à se rompre. Tantôt je vais chasser au milieu de cet élément qui paraît être inaccessible à l’homme, et je force le gibier qui gîte dans mes forêts sous-marines. Mes troupeaux, comme ceux du vieux pasteur de Neptune, paissent sans crainte les immenses prairies de l’océan. J’ai là une vaste propriété que j’exploite moi-même et qui est toujours ensemencée par la main du Créateur de toutes choses. »
Je regardai le capitaine Nemo avec un certain étonnement, et je lui répondis :
« Je comprends parfaitement, monsieur, que vos filets fournissent d’excellents poissons à votre table ; je comprends moins que vous poursuiviez le gibier aquatique dans vos forêts sous-marines ; mais je ne comprends plus du tout qu’une parcelle de viande, si petite qu’elle soit, figure dans votre menu.
– Aussi, monsieur, me répondit le capitaine Nemo, ne fais-je jamais usage de la chair des animaux terrestres.
– Ceci, cependant, repris-je, en désignant un plat où restaient encore quelques tranches de filet.
– Ce que vous croyez être de la viande, monsieur le professeur, n’est autre chose que du filet de tortue de mer. Voici également quelques foies de dauphin que vous prendriez pour un ragoût de porc. Mon cuisinier est un habile préparateur, qui excelle à conserver ces produits variés de l’océan. Goûtez à tous ces mets. Voici une conserve d’holothuries qu’un Malais déclarerait sans rivale au monde, voilà une crème dont le lait a été fourni par la mamelle des cétacés, et le sucre parles grands fucus de la mer du Nord, et enfin, permettez-moi de vous offrir des confitures d’anémones qui valent celles des fruits les plus savoureux. »